Pomair, la compagnie aérienne ostendaise pionnière belge des charters transatlantiques

L’événement historique est l’arrivée à Ostende du premier jet intercontinental de Pomair en mai 1971. Immatriculé (en référence à Transports Charles Pommé) OO-TCP, le Douglas DC-8-33 (msn 45265) a été acquis auprès de la Pan American (ex N812PA) via la Boreas Corporation.

Bruxelles, le 25 septembre 2020. Fin des années soixante, il y avait à Ostende une petite compagnie d’aviation qui s’appelait Inair, et organisait des survols touristiques de la côte belge à bord de deux vieux monomoteurs Nord 1101 (dérivé français à train tricyclique et moteur Renault du Messerschmitt Bf 108 Taifun) (OO-LIZ et OO-RLR). Elle avait été créée par Aubin Van Bellinghen, et était aussi active en handling. Charles Pommé en était un des actionnaires.

La compagnie Inair est à l’origine de Transpommair. Elle opérait notamment ce Nord 1101 OO-RLR (c/n103 ex F-BLEZ) pour des survols touristiques de la côte belge. Il est photographié à Ostende en juillet 1969.

Sous l’impulsion de Charles Pommé, patron d’une entreprise de camionnage, et du constructeur d’autocars Van Hool, Inair décide fin 1969 de se transformer en société de vols charter, et la nouvelle société anonyme Transpommair est créée en 1970. Elle allait très vite devenir une compagnie aérienne performante et innovatrice, qui fera la fierté des ostendais. Mais qu’est-ce qui a incité ces quelques hommes d’affaires west-flandriens à se lancer dans une telle aventure, plus qu’osée pour l’époque ?

L’évolution du trafic aérien ostendais

L’aéroport côtier d’Ostende-Middelkerke a connu son heure de gloire dans la décennie 1960-1969. A l’époque, le prix d’un ticket d’avion vers les destinations de vacances, principalement les destinations méditerranéennes, était hors de portée de la plupart des voyageurs potentiels, en raison des tarifs prohibitifs des compagnies aériennes nationales monopolistiques. Et il n’y avait au début des années soixante pas d’avions modernes suffisamment économiques pour être exploités par des compagnies aériennes à des tarifs accessibles à une clientèle de vacanciers.

Cela avait profité à l’aéroport d’Ostende, très proche en distance de l’Angleterre, et donc permettant à des compagnies britanniques d’effectuer au départ de Lydd et de Southend le trajet transmanche en moins d’une heure de vol, avec des avions à piston de seconde main, et donc bon marché. Le tunnel sous la manche n’existait pas encore et pour les touristes insulaires, la formule avion (pour rejoindre rapidement le continent) plus autocar était très prisée et abordable.

Cela a aussi entraîné un trafic très spécialisé d’avions permettant le transport de voitures en soute et de passagers en cabine, principalement avec des Bristol 170 disposant à l’avant d’une double porte d’accès de la largeur du fuselage et permettant ainsi l’embarquement de voitures comme sur un ferry-boat.

Visiteurs plus que fréquents de l’aéroport ostendais, les Bristol 170 transportaient à la fois des voitures et des passagers d’un côté à l’autre de la Manche. Photographié en été 1963, le G-ANWK est un modèle 170 Mk32 (msn 13259) de la British United. Il pouvait embarquer par ces portes de nez jusqu’à trois voitures et 23 passagers en cabine.

Les Bristol 170 de compagnies anglaises telles que Silver City, Channel Airways et Channel Air Bridge (qui allait devenir British United Air Ferries, puis British Air Ferries, en abrégé la « BAF ») seront suivis pas les ATL-98 Carvair. Cette conversion de Douglas DC-4 était réalisée par la firme Aviation Traders et permettait d’avaler jusqu’à cinq voitures par une porte cargo à l’avant du fuselage grâce au repositionnement du cockpit dans une bosse « à la 747 » au-dessus du fuselage.

Outre ces « car-ferry » aériens, un grand nombre de compagnies aériennes anglaises indépendantes allaient desservir Ostende avec une variété d’avions et y amener de nombreux passagers-vacanciers continuant leurs voyages au-delà de la Belgique.

 Ce trafic particulier a donné des idées à quelques hommes d’affaires west-flandrien qui ont développé la location d’autocars permettant aux passagers de se rendre à leurs destinations méditerranéennes à bas prix et en connexion de leurs vols transmanche.

L’ostendais Rudolf Van Moerkereke avait fondé la West Belgian Coach Company avec cet objectif dès les années cinquante, et avait racheté le tour opérateur Sunair en 1968. Gerard Brackx fut l’un de ces pionniers et c’est de là qu’est né le tour opérateur Jetair, qui a permis par la suite à de nombreuses compagnies charter belges de se développer. Le constructeur d’autocars belge Van Hool, également actif en tant qu’organisateur de voyage, s’est aussi intéressé dès cette époque à ce secteur naissant et qui allait se développer exponentiellement.

Au début des années septante, l’arrivée progressive sur le marché d’occasion d’avions de ligne à réaction de la première génération allait permettre aux compagnies charters naissantes de faire des vols directs, notamment d’Angleterre, vers les destinations de vacances. Ce qui entraîna une forte réduction du nombre de vols transmanche.

Les débuts : Transpommair

Les compagnies charters furent partout en Europe les pionniers de la démocratisation du transport aérien en offrant la possibilité de faire des trajets depuis un aéroport proche de son domicile vers les lieux de vacances, rapidement et confortablement, et à un prix accessible.

Le premier avion de la Transpommair est un Douglas DC-6B, le OO-CTK (msn 43831) racheté à la Sabena et livré en février 1970 dans ces couleurs rouges.

Pour la jeune Transpommair, qui vise ce marché, la première étape fut l’acquisition d’un ancien quadrimoteur à pistons Douglas DC-6B de la Sabena. Il est acquis par la sprl Transport Pommé pour un prix de 6.588.465 francs belges (environ 164.000 euros). Le OO-CTK est livré le 27 février 1970 et effectue un premier vol commercial d’Ostende à Jersey dès le 1er mars 1970. Il effectue principalement du transport de passagers, mais aussi de fret. Les destinations principales de la première saison d’exploitation sont Alicante, Calvi, Lourdes, Palma, au départ de trois aéroports belges : la base de la compagnie à Ostende, mais aussi des vols d’Anvers et de Bruxelles. On note aussi pas mal de « shopping trips » d’un jour vers l’Angleterre, particulièrement attractive à l’époque à la fois pour cause de livre sterling très basse et aussi de l’engouement pour la musique « rock-pop » et la mode vestimentaire « Carnaby Street ».

Changement de nom : naissance de Pomair

Très rapidement, la compagnie se voit contrainte de modifier son appellation Transpommair, car déjà utilisée par une petite société de transport en Campine, qui refuse une offre de rachat du nom, entraînant l’obligation pour la jeune entreprise de modifier sa dénomination qui devient officiellement Pomair le 3 mai 1971. Le capital social à ce moment est de 21 millions de francs belges (environ 525.000 euros) et se réparti entre les trois principaux associés, Charles Pommé, Van Hool, et un citoyen américain, Goodlin, de la firme Boreas Corporation.

Il est repeint dans la livrée bordeaux et rose parme adoptée par la nouvelle compagnie lors de son changement de dénomination en Pomair, et arbore fièrement sur la dérive une petite sirène stylisée. La photo est prise à l’aéroport de Bruxelles-National en août 1971.

Ce changement entraîne également une modification bienvenue de la livrée des avions. Le premier Douglas DC-6B (OO-CTK) avait juste recouvert le schéma de couleur de la Sabena de bleu en rouge, avec l’ajout des titres Transpommair sur le fuselage. Une nouvelle décoration très moderne sera rapidement adoptée, mêlant le rose parme et le bordeaux, avec comme sigle sur la dérive une petite sirène stylisée, déjà utilisée par la société de transport routier de Charles Pommé.

Du fret…

Les contacts professionnels de cette dernière, qui dispose d’un parc d’environ deux cent camions, l’incitent à développer également une activité de fret aérien. Les liens avec son partenaire américain permettent à Pomair de louer successivement deux DC-6B cargos appartenant à Boreas Corporation, et opérés par la compagnie icelandaise Fragtflug.

L’un des deux DC-6B utilisés par Pomair pour des vols cargos, le TF-OAA (msn 45060) est loué de Fragtflug Iceland. Il est opéré tout en gris, livrée utilisée lorsque l’appareil était utilisé par le CICR en 1969 pour des vols humanitaires pendant la guerre du Biafra.

Le premier, TF-OAA, sera exploité de janvier à mai 1971 dans une livrée gris militaire datant d’une utilisation par la Croix Rouge Internationale pendant la guerre du Biafra (Nigeria) en 1969, puis par l’UNICEF ; et le second, TF-OAB, de mai à décembre 1971.

…et des passagers

Un deuxième DC-6B (TF-OAD) de même origine (Boreas/Fragftflug), mais en version passagers, s’ajoute à la flotte et sera exploité de mai à octobre 1971 pour répondre à la demande grandissante.

Un deuxième DC-6B en version passager rejoint la flotte pour la saison d’été 1971. Le TF-OAD (msn 45133) provient également de Fragtflug et est repeint aux couleurs Pomair.

Le marché naissant des « inclusive tours », formule qui propose un forfait combinant à la fois le vol et le séjour, connait une croissance spectaculaire, et facilite l’obtention de droits de trafic par rapport aux vols charters. N’oublions pas qu’à cette époque, même si le monopole de la Sabena ne porte officiellement que sur les vols réguliers, l’Administration de l’Aéronautique belge (devenue de nos jour la Direction Générale du Transport Aérien – DGTA), très protectionniste de la compagnie nationale, accorde très difficilement aux transporteurs privés belges les autorisations de vols demandés.

Les ostendais se révèlent très combattifs et négocient parallèlement avec les autorités de l’aviation civile américaine l’obtention de droits de trafic Belgique-Etats-Unis vers pas moins de 55 destinations. Pomair devient ainsi la première compagnie belge à bénéficier de cette autorisation (la fameuse « 402 licence » délivrée par le « Civil Aeronautics Board »), grâce aux efforts de son directeur de l’époque, John Dumortier, et à l’appui et aux contacts de la Boreas Corporation aux Etats-Unis.

L’ère du jet

L’événement historique est l’arrivée à Ostende du premier jet intercontinental de Pomair en mai 1971. Immatriculé (en référence à Transports Charles Pommé) OO-TCP, le Douglas DC-8-33 (msn 45265) a été acquis auprès de la Pan American (ex N812PA) via la Boreas Corporation.

Le premier avion à réaction, le Douglas DC-8-33 OO-TCP, atterrit à Ostende aux couleurs de Pomair Ostend le 7 mai 1971. Acquis par Boreas auprès de la Pan American (ex N812PA), il peut transporter jusqu’à 186 passagers, dans un confort nettement supérieur au DC-6B. Il effectue son premier vol commercial le 31 mai 1971.

La flotte Pomair en mai 1971 consiste en deux DC-6B « passagers » (OO-CTK et TF-OAD), un DC-6B cargo (TF-OAA, puis TF-OAB) et le premier DC-8 (OO-TCP). Il sera utilisé notamment par Jetair vers les destinations méditerranéennes classiques mais avec nettement plus de passagers par vol que les DC-6B.

Après le retour des DC-6B icelandais, la flotte de base comprend deux avions : le premier DC-8 (OO-TCP) et le DC-6B original. Ce dernier (OO-CTK) opérera fréquemment des vols Ostende-Southend pour le compte de British Air Ferries pendant la période d’hivers 1971/1972.1973 voit le départ du DC-6B OO-CTK, revendu à Delta Air Transport en mai.

A la fin de la saison 1973, le premier Douglas DC-6B OO-CTK (msn 43831) est revendu à Delta Air Transport et conservera brièvement la livrée Pomair avant d’être exporté comme N94491, et vendu à Air Gabon (TR-LTY). Il est photographié à EBBR en novembre 1973.

Triplement de la flotte DC-8

Au niveau des autres compagnies aériennes privées belges, outre le développement de la Trans-European Airlines (TEA), on assiste à un suréquipement en jets long-courriers, avec notamment l’arrivée de deux DC-8 ex-KLM à la Belgian International Air Services (BIAS).

Le DC-8-33 (msn 45382) OO-CMB (pour Compagnie Maritime Belge) est acquis auprès de la KLM (ex PH-DCG) par la LIM et loué à BIAS International. Il est photographié à Bruxelles le 21 mars 1972. Il sera brièvement transféré à Delta International début 1973.

Ces avions ont été acquis en mars et avril 1972 par la Luchtvaart Investerings Maatschappij (LIM), une société créée par la Compagnie Maritime Belge (CMB), à l’époque actionnaire principal de la BIAS. Mais ils ne volent pas assez, et la LIM les reprend et les loue à partir de février 1973 à Delta International, filiale de la Delta Air Transport.

Le deuxième DC-8-33 (msn 45376) de la LIM, immatriculé OO-AMI (pour Agence Maritime Internationale), ex PH-DCA de KLM, passe-lui aussi de BIAS à Delta International et est photographié au décollage de Bruxelles en mai 1973, peu avant sa livraison à Pomair.

Pas pour longtemps car là aussi il n’y a pas assez de vols. Les deux quadriréacteurs OO-AMI et OO-CMB rechangent de couleurs et arrivent chez Pomair le 18 mai 1973. Ils conservent leur livrée de base rouge de la BIAS, et la dénomination Pomair Ostend est appliquée avec une modification de la décoration de la dérive : la petite sirène Pomair est affinée et apposée en blanc sur fond rouge.

Le DC-8-33 OO-AMI (msn 45376) est livré par la LIM à Pomair le13 mai 1973 et conserve la livrée rouge de ses deux utilisateurs précédents. A noter, l’ovale blanc sur la dérive datant de sa période BIAS (et réutilisé par Delta). La petite sirène Pomair sera rajoutée plus tard. A la faillite de Pomair fin 1973, l’avion sera récupéré pat la LIM, avant d’être revendu à Capitol AL (N904CL).
Le second DC-8-33 de la LIM, le OO-CMB (msn 45382) rejoint également la flotte de la compagnie ostendaise. Photographié en août 1973, il arbore le sigle Pomair sur la dérive rouge de l’avion. A l’arrêt des activités fin 1973, il est récupéré par la LIM, et sera revendu à Capitol (N903CL) avant de terminer sa carrière en Libye chez United African AL comme 5A-DGN.

Face à l’augmentation substantielle de sa flotte, Pomair loue son premier DC-8 à Air France, et le OO-TCP y volera dans une livrée avec fuselage argenté et décoration Air France de mai à août 1973. A son retour de location, il conservera quelques temps la livrée argentée mais marqué Pomair Ostend.

Au retour d’une location « wet-lease » de trois mois chez Air France, le DC-8-33 (msn 45265) OO-TCP sera exploité quelques temps dans une livrée argentée et schéma AF, mais avec les titres Pomair Ostend.

Outre l’activité charter traditionnelle, les DC-8 de Pomair seront fréquemment loués en « wet-lease » à d’autres compagnies aériennes, notamment à Air Ceylon (de janvier à juin 1974), Air Inter, British Caledonian, East African, Sudan Airways, Nigeria AW, UTA et JAT. Et la fameuse « 402 licence » permettra d’effectuer un certain nombre de vols vers les Etats-Unis, notamment grâce à un contrat pour transporter au départ de Francfort les militaires américains de service en Europe pour leurs retours en congé aux Etats-Unis.

Le bilan de l’activité de l’année 1973 est impressionnant : les quatre avions (un DC-6B et trois DC-8) de Pomair ont transporté 124.154 passagers en 460 vols, une performance pour l’époque. Outre les traditionnelles destinations de vacances européennes, plusieurs autres plus exotiques s’ajoutent aux carnets de vols : Ascension, Bangkok, Kuala Lumpur, l’île Maurice, Niagara Falls, Paramaribo, Singapour, Toronto, plus celles opérées pour les compagnies clientes en « wet-lease ».

Opérant sous le « call-sign » IATA HZ, la compagnie bénéficie d’une très bonne réputation et dispose sur le plan humain d’une équipe de pas moins de 200 professionnels compétents et motivés (ils étaient une vingtaine au tout début). Outre le président, Charles Pommé, la direction est assurée par John Dumortier. Les opérations sont dirigées par le Commandant Bernard Barberon, assisté de Robert « Bob » Deppe (ex-BIAS), et le chef-pilote est Hank Copes.

Photographié à Ostende le 20 avril 1975, le premier DC-8 de Pomair, le OO-TCP (msn 45265), restera stocké dans ses couleurs jusqu’au printemps 1975. Il sera lui aussi vendu à Capitol comme N900CL.
Arborant toujours la livrée rouge utilisée successivement par trois compagnies belges, le DC-8-33 N900CL (msn 45265) de Capitol (ex OO-TCP) est photographié à Bruxelles en août 1975. Il sera ensuite loué à la compagnie espagnole TAE comme EC-CUS avant de revenir chez Capitol (N900CL).

Mais cette apparente « success-story » se terminera malheureusement le 13 octobre 1974, avec un dernier vol Alicante-Ostende. Un agent américain qui avait vendu un certain nombre de tickets pour le compte de Pomair, ne les a jamais payés et a disparu dans la nature. La compagnie ostendaise a été obligée de rapatrier ces passagers à ses frais, ce qui a entraîné une perte de trésorerie importante et la faillite de l’entreprise. Pomair l’ostendaise a écrit une page importante dans l’histoire de l’aviation civile belge, étant la première compagnie aérienne privée belge à obtenir les autorisations et à opérer des vols charters vers les Etats-Unis.

Guy Viselé

Guy Viselé

Pilote privé et Lieutenant-Colonel de Réserve de la Force Aérienne Belge, mais avant tout passionné d'aviation, il débute sa carrière chez Publi Air. Il passe ensuite vingt ans chez Abelag Aviation où il termine comme Executive Vice-President. Après dix ans comme porte-parole de Belgocontrol, il devient consultant pour l’EBAA (European Business Aviation Association). Journaliste free-lance depuis toujours, il a collaboré à la plupart des revues d'aviation belges, et a rejoint Hangar Flying en 2010.

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