Droneport: le futur à Brustem

Le superbe bâtiment Droneport a été inauguré en décembre 2018. On voit la « cage » qui jouxte la partie principale de l’immeuble et permet des démonstrations et essais de drones en toute sécurité. (Photo Guy Viselé)

Brustem, le 14 août 2019. Une visite organisée par les « Vieilles Tiges de Belgique » me fait découvrir le Droneport (www.droneport.eu) récemment mis en service sur l’ancien aéroport militaire de St-Truiden-Brustem.

Jack Waldeyer, Colonel aviateur e.r. de la Force Aérienne Belge, et Kris Van Den Bergh, au travers de la S.A. JK Invest, sont les initiateurs de ce projet. Jack connait bien Brustem, dont il fut d’ailleurs le dernier « Base Co » et a vécu la fermeture de la base en novembre 1996. Il a ensuite géré le déménagement des unités qui y étaient stationnées vers Beauvechain, qui sera son dernier commandement au sein de la Défense. Il devient Directeur des Opérations de la Sabena, et après la faillite de la compagnie nationale, rachète la Sabena Flying School avec son complice Kris Van Den Bergh et sauve et régénère cette école de pilotage qui est revendue dix ans plus tard au canadien CAE. Comme il aime à le rappeler, Brustem disposait à l’époque militaire d’une des plus longue piste en Belgique: pas moins de 3.200 mètres et 50 mètres de largeur. Aujourd’hui, la seule piste en service (24/06) n’est utilisable que sur 1.199 mètres, une longueur très confortable pour l’aviation générale.

Jack Waldeyer, l’un des deux moteurs de la JK Invest, connait bien Brustem, dont il fut le dernier « Base Co » jusqu’à la fermeture de l’aéroport militaire fin 1996. (Photo Guy Viselé)

Une longue saga
Suite à la fermeture de la base militaire, le futur de l’aéroport a fait l’objet de longues discussions et de nombreux projets ont été envisagés. Mais il fallait à la fois tenir compte des impératifs de la Défense, du souci du voisinage inquiet de l’impact environnemental, de l’intérêt de promoteurs immobiliers pour les terrains, et de la réalité économique. Un projet de développement d’un aéroport dédié au fret, style Vatry en France, n’aboutit pas. Un parc industriel s’implante et grignote une partie du terrain de l’ancienne base. Heureusement, la sprl LRA (Limburg Regional Airport) réussit à maintenir des activités aéronautiques récréatives sur l’ancien terrain militaire.

Une demande d’extension du permis environnemental est introduite par la LRA en mars 2013. Très rapidement, il devient évident que celle-ci ne sera accordée que si elle est liée au développement de projets innovatifs, et sur base d’un projet économiquement crédible. Jack et Kris dialoguent avec les parties concernées pour voir ce qui peut réalistiquement être fait. Au vu du potentiel du nouveau secteur des drones (de l’anglais « faux bourdon »), ils lancent l’idée de créer un centre de développement de cette nouvelle activité.  En coopération avec la Défense, qui est encore propriétaire d’une partie des terrains, ils proposent de développer, en parallèle avec l’activité d’aviation récréative pilotée préexistante, des opérations de drones pilotés à distance sur le même terrain.

Les deux associés se mettent à la recherche de partenaires et entrent en contact avec la Limburgse Reconversie Maatschappij (LRM), créée à la fermeture des mines du Limbourg, puis réactivée lors de la fermeture des usines Ford à Genk. L’objectif de la LRM est de développer des activités novatrices et créatrices d’emplois. La LRM, propriétaire des pistes, et Jack Waldeyer et Kris Van den Bergh, (via leur société JK Invest), reprennent ensemble la LRA début 2014 avec pour objectif de créer de nouvelles activités et de poursuivre le développement de l’aéroport.

Un petit groupe de travail, parmi lesquels on trouve la Ville de St-Truiden, mais aussi l’astronaute belge Frank de Winne, s’intéresse à l’idée de développer des activités liées aux drones ou UAV (Unmanned Aerial Vehicles).

Un drone Hero à quatre rotors entraînés par des petits moteurs électrique. (Photo Guy Viselé)

Les nouveaux partenaires de la LRA vont de l’avant et entament des négociations avec le Brustem Industrie Park (BIP), propriétaire de grandes surfaces de terrains au nord de la piste. Les actionnaires de BIP sont la Ville de St-Truiden, la LRM et la Provinciale Ontwikkeling Maatschappij (POM). Un plan de développement d’activités du secteur « drone » lié à la poursuite de l’activité aéronautique pilotée est discuté et élaboré au fil des réunions. Il comporte un volet « construction d’un centre d’essai et d’évaluation pour drones », ce qui aboutit à la création de la nv Droneport.

C’était visionnaire d’envisager de miser sur les drones qui en étaient à leurs balbutiements à cette époque, et souvent pas trop bien perçu par le secteur aéronautique traditionnel. Opérer au même endroit et en même temps des engins volants pilotés et non pilotés constituaient une première européenne et cela a nécessité de nombreuses discussions avec les autorités compétentes pour obtenir les autorisations nécessaires. Une bonne collaboration avec la Direction Générale du Transport Aérien (DGTA) et les militaires a permis la création de pas moins de quatre zones de vol spéciales permanentes, qui peuvent être activées par NOTAM. Elles permettent des tests jusqu’à 2.000 ft AGL dans une zone réservée au sud de l’aéroport.

Le superbe bâtiment Droneport a été inauguré en décembre 2018. On voit la « cage » qui jouxte la partie principale de l’immeuble et permet des démonstrations et essais de drones en toute sécurité. (Photo Guy Viselé)

Le Droneport
La première pierre du futur Droneport est posée le 12 décembre 2017 et l’ouverture a lieu un an plus tard. Le bâtiment Droneport est conçu pour aider au développement d’activités liées aux drones. Le premier étage regroupe des espaces de travail ouverts pour de jeunes « start-up » du secteur, et fonctionne comme un incubateur de jeunes talents, avec échanges d’expérience et mise à disposition d’infrastructures. Des petites entreprises peuvent y louer de petites surfaces de travail et être en contact avec les autres innovateurs du secteur. Au deuxième étage, de plus grands locaux sont mis à disposition d’entreprises en croissance. Il y a aussi des salles de cours et de réunions. Une tour de contrôle offre une vue idéale du terrain et de la piste. Des installations d’essai de drone et une brasserie accueillante complètent l’infrastructure du bâtiment. Opérationnel depuis moins d’un an, le nouveau bâtiment de Droneport est actuellement déjà occupé à 60%.

Avisum est une des « start-up » installée dans la zone « incubateur » et développe des applications de cartographie par drones. (Photo Guy Viselé)

Droneport dispose également d’installations intérieures dans l’ancien hangar militaire (H27) situé dans la zone nord à proximité du bâtiment principal. Ce qui, permet d’effectuer des essais de drones ainsi que des vols d’entraînement en « indoor ». Avec un centre d’essai extérieur, une « cage » permettant les essais « outdoor » de drones, une piste d’atterrissage d’une longueur utilisable de 1.200 mètres et des bureaux flexibles et modulaires pour plus de 100 employés, cet incubateur est par excellence la base de départ idéale pour les entreprises débutantes ou en croissance dans le domaine des drones et celui de l’aéronautique. Droneport propose également des services de soutien pour les nouveaux utilisateurs de drones, en leur prêtant assistance en matière de formation, enregistrement, immatriculation, certification ou assurances.

Guy Deroeve, de “Dr One”, effectue une démonstration de la maniabilité et de la fiabilité des drones dans la « cage » de Droneport. (Photo Guy Viselé)

D’ores et déjà il y a des projets d’agrandissement en fonction des perspectives de croissance du secteur. Outre les activités drones, le projet Brustem prévoit la construction d’un nouveau hangar avions de 7.000 m2, destiné à remplacer les anciens hangars 41 et 43, situés au sud de la piste 24/06 sur domaine militaire. Il permettra d’’accueillir une soixantaine d’avions et d’hélicoptères. Cela répond à un souci de la Défense qui souhaitait récupérer ses terrains. Et cela permettra de rassembler l’ensemble des activités aériennes du même côté de la piste dans la concession Droneport.

Vue de la tour de contrôle de Droneport, la zone au sud de la piste 24 et les deux anciens hangars 41 et 43 qui abritent une quarantaine d’avions d’aviation générale. Les travaux de construction d’un nouveau hangar ont débuté au nord de la piste et permettra de regrouper toute l’activité volante sur les terrains concédés à Droneport. (Photo Guy Viselé)

Les travaux de construction du nouveau hangar « avions » vont bon train et l’inauguration est prévue vers octobre 2020. L’objectif est de créer à moyen terme environ 300 emplois et un chiffre d’affaires de 30 millions d’euros, dans les activités développées par et autour de Droneport.

Et pour le futur, il y a encore du terrain utilisable pour développer de nouvelles activités liées à l’aviation, avec là aussi un potentiel de création d’emplois et de développement économique pour la région.

Utilisateurs
Parmi les utilisateurs du nouveau site, on trouve à la fois de petites start-ups innovatrices et de grands acteurs du secteur.

L’une d’entre elles, AIRobot (www.airobot.eu), spécialisée dans le développement d’équipements pour les opérations de drone et utilisation de l’Intelligence Artificielle pour l’interprétation des images, a obtenu un contrat avec General Atomics, suite à la commande par la Défense de deux Unmanned Airborne Vehicle (UAV) militaires MQ-9B Predator, assorties de deux options. Ces engins, de la catégorie Medium Altitude Long Endurance (MALE), seront livrés à partir de 2022. General Atomics s’est en outre engagée à financer à hauteur de trois millions de us dollars pendant dix ans des projets de drones civils développés par des start-ups belges, sélectionnées chaque année par concours.

Kristof Beenders, CEO de AIRobot, explique les multiples applications potentielles des drones. Il développe actuellement une application facilitant le travail de la police lors d’accidents de roulage. (Photo Guy Viselé)

Le premier récipiendaire a été AIRobot qui développe actuellement une application utilisant les drones pour faciliter le travail des zones de police. Lors d’un accident automobile, un drone peut rapidement être envoyé sur les lieux. La gestion de ce genre d’incident par les méthodes traditionnelles de constats prend un temps considérable, causant des embarras de circulation conséquent. Grâce au drone, toutes les opérations peuvent s’effectuer en moins d’une heure: prises de vues 3D, aide dans la gestion du trafic, enregistrement des déclarations et procès-verbaux en temps réel, et facilite la constitution d’un dossier complet envoyé au procureur dans des délais ultra-courts.

Autre application étudiée au Droneport: une des quatre zones réservées est dédiée à PC Fruits, un des centres de recherches de la KUL, qui permet de tester les utilisations de drones en tant qu’engins de surveillance pour l’agriculture fruitière.

skeyes est présent à Droneport en tant que partenaire de différents projets étudiés avec d’autres acteurs du nouveau site. L’ex Belgocontrol (voir article dans HF du 14 décembre 2018) s’intéresse activement aux drones et étudie l’intégration de ces nouveaux engins dans l’espace aérien conventionnel tant contrôlé que non-contrôlé, mais aussi dans le futur Unmanned Traffic Management (UTM) ou U-Space, et notamment le futur environnement urbain où les drones pourraient jouer un rôle important dans le développement de ce qu’on appelle déjà » urban air mobility ».

Plusieurs entreprises et institutions sont actives en matière de formation et utilisent les salles de cours disponibles à Droneport. (Photo Guy Viselé)

En association avec Unifly (fournisseur de logiciels de gestion du trafic de drones et une dizaine d’organisations publiques et privées (dont SABCA, Proximus et Amazon Prime Air qui étudie un système de livraisons par drones aux clients d’Amazon) est né le consortium SAFIR. SAFIR se traduit par « Safe and Flexible Integration of Initial U-space Services in a Real Environment », soit « intégration sécurisée et flexible des services U-space initiaux en environnement réel ». SAFIR a été choisi en octobre 2018 par SESAR JU (Single European Sky ATM Research Joint Undertaking), pour mener des démonstrations de gestion du trafic de drone dans l’espace aérien pour un large panel d’opérations de drones à Anvers. SAFIR conduira plusieurs études et démonstrations visant à contribuer au processus réglementaire européen pour les drones et à favoriser le développement de services de drones interopérables, harmonisés et standardisés dans toute l’Europe.

Différents acteurs de Droneport participent également au projet Medrona, qui développe un système capable de transporter des colis médicaux à l’aide de drones entre hôpitaux et laboratoires/pharmacies. Des vols d’essais inter-hospitaliers auront lieu au cours de la deuxième moitié de 2019 dans l’espace aérien urbain d’Anvers. Il est réalisé en partenariat avec skeyes, SABCA, Unifly, Helicus, NSX, La Baloise et Helicus Aero Initiative (HAI).

Plusieurs institutions et organismes de formation sont présents à Droneport et y donnent des cours de groupe et/ou individuels.

Belegendary (www.belegendary.be) propose des camps d’initiation au monde des drones pour jeunes de 8 à 12 ans, et de 12 à 16 ans. Au cours de cinq demi-journées, ils apprennent à voler avec leur propre drone, expérimente l’excitation des courses de drones, font connaissance des règles à respecter et peuvent apprendre à fabriquer et à programmer leurs propres robots.

Une zone réservée au sud de la piste de Brustem a pu être définie en accord avec les autorités aéronautiques civiles et militaires, et permet d’y faire voler des drones jusqu’à 2.000 ft AGL au-dessus de l’aéroport. (Photo Droneport via Jack Waldeyer)

Avec Droneport, la Belgique se positionne comme un acteur visionnaire et crédible pour aider à un développement professionnel d’un secteur riche en promesses et à la pointe de la technologie. Les compétences réunies sur ce campus et le « think tank » qui en résulte ont d’ores et déjà abouti à l’obtention de contrats d’études et de développements de projets prometteurs. L’initiative de création de Droneport assure aussi la pérennité d’un aéroport dont l’avenir était incertain. Premier aéroport avec un trafic mixte d’engins pilotés (avions et hélicoptères) et de drones pilotés à distance, St-Truiden-Brustem (EBST) voit son avenir assuré grâce à Droneport.

Guy Viselé
Photos: Guy Viselé et Droneport

Guy Viselé

Guy Viselé

Pilote privé et Lieutenant-Colonel de Réserve de la Force Aérienne Belge, mais avant tout passionné d'aviation, il débute sa carrière chez Publi Air. Il passe ensuite vingt ans chez Abelag Aviation où il termine comme Executive Vice-President. Après dix ans comme porte-parole de Belgocontrol, il devient consultant pour l’EBAA (European Business Aviation Association). Journaliste free-lance depuis toujours, il a collaboré à la plupart des revues d'aviation belges, et a rejoint Hangar Flying en 2010.

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