Goodyear blimp: la belle décade Bénélux

Ottenburg, le 7 février 2012. Erwin De Weerdt évoque la période durant laquelle il était responsable des relations publiques chez Goodyear Belgique. Il était originaire de Mortsel, avait trente ans et coordonnait alors le bon déroulement de nombreuses manifestations de Formule 1 ou de grands prix motocyclistes auxquels participait le grand fabricant de pneumatiques à la marque frappée du motif de la sandale ailée. Erwin De Weerdt organisait également les prestations publiques du blimp, fabriqué chez Goodyear aux Etats-Unis, durant la saison estivale dans le Bénélux, mais aussi en Allemagne. La période s’étalait de 1977 à 1986 et elle fut fantastique…

Des machines volantes sortant de l’ordinaire
Goodyear est une entreprise américaine spécialiste du caoutchouc depuis plus d’un siècle. Elle a construit son premier ballon dirigeable dans les années 20. Celui-ci était de construction conventionnelle, c’est-à-dire avec une structure métallique rigide entoilée dans laquelle étaient logés des ballonnets contenant de l’hélium, dont Goodyear fut le grand promoteur: ce gaz sept fois plus léger que l’air est ininflammable, contrairement à l’hydrogène hautement explosif et inflammable utilisé dans les zeppelins allemands. Au tournant des années 30, Goodyear créa le blimp, ou dirigeable semi-rigide, qui fut d’emblée adopté par la marine américaine. La particularité de ce type de ballon était de ne pas avoir de carcasse mais une enveloppe de deux couches de toile cousues et caoutchoutées qui étaient suffisamment rigides pour contenir les réservoirs d’hélium assurant la sustentation et la cabine suspendue à laquelle étaient fixés les moteurs assurant la propulsion de l’aéronef.

Le blimp N2A Europa se présente à l’atterrissage à Grimbergen en 1983. (Photo Erwin De Weerdt)

A la fin des années 70, Goodyear avait construit plus de 300 dirigeables, dont la majeure partie étaient des blimps. En 1979, cette firme utilisait quatre blimps à des fins purement promotionnelles. Il s’agissait des dirigeables baptisés Europa (immatriculé N2A au registre américain) basé en Italie à Capena près de Rome, America (N3A), Columbia IV (N10A) et Mayflower (N38A, remplaçant l’Enterprise (N1A) qui venait d’être déclassé); les trois derniers appareils n’opéraient qu’en Amérique du Nord. Tous ces aéronefs étaient identiques, à quelques détails près. Leur enveloppe était constituée de deux couches de Dacron (une toile tissée de fibres de polyester) enrobées de néoprène (caoutchouc synthétique) dont la superficie était de 2.006 m². Le volume de chaque blimp était de 5.740 m³ pour une longueur de 58,67 mètres, une largeur de 14,24 mètres et une hauteur de 18,14 mètres. La nacelle fixée sous le dirigeable accueillait le pilote et six passagers et portait les deux moteurs Continental développant chacun 210 CV, lesquels conféraient à l’appareil une vitesse de croisière de l’ordre de 55 à 64 km/h à la masse totale de 5.850 kg.

Le blimp Goodyear et sa caravane logistique. (Photo Erwin De Weerdt)

Cette vitesse relativement modeste faisait du blimp un engin incomparable pour observer et filmer des événements attirant les foules qui ne pouvaient que lever le nez pour regarder cette masse imposante évoluant à basse altitude en clamant la marque Goodyear avec une certaine grandiloquence.

Un remarquable outil promotionnel et vecteur d’image
Avec la marque Goodyear à la sandale ailée se développant sur ses flancs sur une longueur de 36 mètres et une hauteur de 8,50 mètres, le blimp était un formidable vecteur de la marque et un incomparable outil promotionnel pour l’entreprise.

Le N2A Europa venait d’être mis en service en 1977 et entamait un premier summer tour européen lorsqu’Erwin De Weerdt entra au service de Goodyear Belgique en tant que responsable des relations publiques pour le Bénélux. Cette tournée voyait le blimp quitter sa base d’hivernage de Capena en Italie pour monter au nord jusqu’à la Suède et la Finlande en effectuant de nombreuses étapes dans les pays qu’il traversait. Les responsables marketing locaux identifiaient les opportunités, lesquelles étaient couvertes en fonction des accords de la direction Europe et moyennant une contribution financière de chaque marché concerné au budget global d’exploitation du blimp. La mise en œuvre du N2A Europa nécessitait une logistique conséquente lors de chaque étape, voire de chaque vol, quelque bref qu’il fusse. L’équipe au complet comptait 25 personnes qui se déplaçaient dans un bus faisant partie d’une caravane comprenant trois camions ateliers, dont un portant le mât d’arrimage, plus un minibus destiné uniquement à véhiculer les passagers du centre VIP de chaque événement jusqu’au dirigeable. Le pilote et commandant de bord du N2A, Joel Chamberlain, était américain et demeura en poste durant les neuf ans où Erwin De Weerdt organisa les venues du blimp dans le Bénélux, mais aussi en Allemagne pour survoler le Nurburgring lors de diverses compétitions de sports moteurs.

A Grimbergen durant l’été 1983, toute l’équipe au sol du N2A Europa prête à saisir le blimp qui s’approche en vue de son arrimage. (Photo Erwin De Weerdt)

Parmi les grands événements couverts, l’un des plus extraordinaires fut le mariage du Prince Charles d’Angleterre parmi d’autres, comme les grands prix de Formule 1 de Francorchamps et des coopérations expérimentales avec le Luchtvaartdienst de la Rijkspolitie aux Pays-Bas ou la police bruxelloise.

Le dirigeable en vol dans les parages de Schiphol/Amsterdam. (Fotodienst Rijkspolitie)
Le N2A vient de décoller de Schiphol et sera bientôt rejoint par le Bölkow BO 105du Luchtvaartdienst de la Rijkspolitie pour une séance de photos air-air. (Fotodienst Rijkspolitie)

Le dirigeable Europa effectuait quotidiennement des vols VIP à des fins promotionnelles lors de ses diverses étapes mais, vu l’espace offert par sa cabine, sa stabilité et sa faible vitesse par rapport au sol, c’était une formidable plate-forme pour les journalistes de la TV et de la radio pour filmer ou commenter en direct les manifestations sportives ou d’autres événements rameutant les foules.

Retour à Schiphol. (Photo Erwin De Weerdt)

Près de dix ans en action
Erwin De Weerdt, qui était né et avait grandi à Mortsel près de l’aérodrome de Deurne, avait manifesté très jeune un vif intérêt pour tous les engins mécaniques, y compris les avions. C’est donc avec beaucoup d’enthousiasme qu’il remplit sa fonction de responsable des relations publiques pour les manifestations sportives nombreuses et variées dans lesquelles la marque Goodyear s’investissait.

Plus spécifiquement pour le blimp Europa, Erwin De Weerdt préparait la venue de l’appareil en négociant toutes les autorisations requises auprès de l’Administration de l’aéronautique autant que des autorités locales. Il s’occupait en outre du volet logistique pour l’équipe et du matériel nécessaire à la mise en œuvre du dirigeable et gérait enfin l’accueil et la prise en charge des passagers du N2A.

Durant les neuf ans d’activité de l’Europa, il eut maintes fois l’occasion de voler à son bord et même de le piloter avec un plaisir évident, mais il n’en est jamais demeuré que le copilote occasionnel.

Quelques coups d’éclat en Belgique
Sur la période courant de l’été 1977 à fin août 1986, Erwin De Weerdt se souvient avoir été à la base de quelques coups d’éclat où le blimp Goodyear n’était pas la seule vedette…

Eddy Merckx, une roue de bicyclette à la main, converse avec Erwin De Weerdt avant d’embarquer dans la nacelle du blimp Goodyear. Tous les points sur le flanc du dirigeable sont autant de lampes destinées aux vols publicitaires nocturnes. (Photo Erwin De Weerdt)

C’est ainsi qu’il invita en 1983 le grand champion cycliste Eddy Merckx à voler en dirigeable au départ de l’aérodrome de Grimbergen. A sa demande, notre champion national s’y rendit avec une roue de vélo, clin d’œil à la roue du trim (volet compensateur) de profondeur de l’appareil située à droite du siège du commandant de bord. Il convia, également en 1983, le Ministre des communications de l’époque, Herman De Croo, à faire un vol que celui-ci effectua en compagnie de son jeune fils Alexander (à présent trentenaire et président du VLD), lequel fit de toute évidence grand plaisir et au père et au fils, comme en témoigne une chaleureuse lettre de remerciements du ministre. Les vols du N2A duraient habituellement une demi-heure, sauf celui de midi s’étalant sur une heure, pour totaliser quelques huit heures de vol lors d’une journée normale d’opérations.

Dans le poste de pilotage du dirigeable, notre champion cycliste Eddy Merckx tient sa roue de vélo à droite du commandant de bord Joel Chamberlain qui, lui, tient sa roue de commande du volet compensateur de profondeur (trim tab). (Photo Erwin De Weerdt)

Une exception notoire consista en un vol de trois heures en 1983 à mille pieds (300 mètres) au-dessus de Bruxelles avec le très aérophile animateur de la RTBF, Georges Pradès, qui enregistra une émission en compagnie d’un historien et de l’agent de police réglant alors la circulation au carrefour de la rue Belliard et de l’avenue des Arts. A cette même époque eut lieu un vol de nuit, en accord avec l’office du tourisme, afin de promouvoir la ville de Bruxelles. Avec les 7.560 ampoules éclairant une surface de 7,50 mètres en hauteur sur 32 mètres en longueur sur chacun des flancs du dirigeable volant à moins de 300 mètres d’altitude, le message diffusé pouvait être lu par les spectateurs au sol à plus d’un kilomètre et demi de distance.

Arrêt définitif à Montpellier
Le dirigeable Europa fut pris dans un orage lors d’un vol dans les parages de Montpellier en septembre 1986. Drossé vers le rivage, le commandant Joel Chamberlain a purgé les ballonnets d’hélium et a couché le blimp qui est allé s’écraser sur la plage. L’équipage de journalistes de la BBC se trouvant à bord en est sortie choquée mais intacte et n’avait pas songé un instant à filmer la catastrophe…

Le N2A Europa en vol lors du meeting Sanicole le 3 août 1986, soit un bon mois avant son crash sur la plage de Montpellier. (Photo Jean-Pierre Decock)

En neuf ans d’opérations, le blimp de Goodyear a effectué plus de 500 heures de vol, rien que pour le Bénélux, et a permis à près de 800 passagers de découvrir les joies d’une ballade en dirigeable. La division aéronautique de Goodyear a été rachetée en 1987 par la Loral Corporation américaine, en conséquence de quoi il fut décidé de ne pas reconstruire le N2A Europa. Dès lors, Goodyear Europe passe des contrats de location de deux ou trois ans avec des constructeurs allemands ou britanniques de dirigeables qui louent une machine sur laquelle un logotype Goodyear de grandes dimensions est appliqué dans l’optique de tournées promotionnelles estivales.

Erwin De Weerdt en 2012 tenant une maquette du blimp Goodyear telle que celle qui était offerte aux organisateurs de meetings et à certains VIP ; une telle maquette est présente sur une étagère du bureau de navigation de l’aérodrome de Spa depuis des décennies. (Photo Jean-Pierre Decock)

L’histoire du blimp Goodyear en relation avec la Belgique ne s’arrête toutefois pas là: il y a, en effet, un seul Belge détenteur d’une licence de pilote de dirigeable dont nous conterons la carrière dans un prochain article.

Jean-Pierre Decock

Jean-Pierre Decock

Jean-Pierre Decock

Brevet B de vol à voile en 1958. Pilote privé avion en 1970. Totalise 600 heures de vol dont 70 d’acro. Un œil droit insuffisant empêche toute carrière dans l’aviation. (Co-)Auteur et traducteur de 41 ouvrages d’aviation publiés en 4 langues depuis 1978. Compétences: histoire, technique et pilotage (aviation civile, militaire ou sportive).

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