Des Pou Du Ciel plein les yeux

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Cerfontaine, le 28 août 2010. Le troisième Flea In de Belgique était organisé lors du dernier week-end d’août par Alain Blondiau qui avait été l’organisateur, en compagnie du regretté Philippe Balligand, du premier et du second à Namur-Temploux, respectivement en 1996 et 1998. La Belgique s’est toujours avérée très pouducieliste, ce qui ne fut pas démenti à Cerfontaine, car on a pu y voir sept machines de la formule Mignet, l’inventeur du Pou du Ciel dans les années trente. Six des machines étaient présentées au sol, tandis qu’une seule autre l’était en vol, provenant de l’ulmdrome de Matagne-la-Petite, la piste de Cerfontaine étant impraticable car inondée après les violentes averses des jours précédents. C’est pour cette même raison qu’un huitième appareil, à savoir du type Criquet Léger (immatriculé 76HH) n’avait pu rejoindre le point de ralliement depuis son port d’attache de Doucy près de Sedan dans les Ardennes Françaises.

La belle moto Lion Rapide et le superbe Pou du Ciel VC2 immatriculé OO-35 à moteur en étoile Salmson que feu Victor Collard a construit en 1967.

Il était une fois le Saint Patron…
L’inventeur du Pou du Ciel, Henri Mignet (1893-1965), est vénéré comme le Saint Patron par tous les pouducielistes. Après divers tâtonnements et la construction de planeurs et d’aviettes (comme on disait dans les années 20), il réalisa le type HM 14 en 1934, le premier appareil de la formule Pou du Ciel. Ce n’est qu’après de nombreux essais (et de bois cassé) suivis d’améliorations systématiques qu’Henri Mignet se décida à commercialiser les plans du HM 14 Pou du Ciel. Il voulait que ce soit un avion populaire au sens premier du terme, c’est à dire constructible et pilotable par le plus grand nombre, tout en restant dans une enveloppe budgétaire serrée, et avec un propulseur aisément accessible, mécaniquement et financièrement parlant, pour l’amateur (généralement un moteur de motocyclette). Néanmoins, la grande particularité de la formule Mignet résidait dans la conception d’un avion extrêmement sûr à piloter. La disposition décalée des deux ailes, avec l’aile principale pivotant vers l’avant et l’arrière ainsi que le gouvernail de direction à commande unique par un manche faisaient du Pou du Ciel un aéronef incapable de se mettre en vrille, manœuvre souvent fatale aux aviateurs peu ou prou expérimentés. C’est pour cette raison même que la formule fut critiquée par les instances officielles, le protocole d’essai très officiel exigeant une sortie de vrille pas trop malaisée, or y entrer était impossible avec la formule Mignet. Quelques accidents dus à l’inexpérience des constructeurs amateurs ternirent la réputation du Pou du Ciel avant-guerre, quoiqu’il n’y en eut aucun à déplorer en Belgique, alors que d’emblée la formule Mignet y avait rencontré un vif succès dès 1935 (15 appareils mis en chantier).
Henri Mignet perfectionna la formule et mit les plans du type HM 290 à disposition des amateurs dès 1946 (et puis du HM 360, ultime développement, fin 1959) et le mouvement reprit de plus belle partout, mais également en Belgique où il perdure de façon très vivace de nos jours.

Alain Blondiau, organisateur du rassemblement des Pou du Ciel à Cerfontaine, lève le capot moteur de l’OO-35 révélant le bâti-moteur en tubes d’acier adroitement soudés par Victor Collard, constructeur-amateur-pilote.

Pierre, l’un des fils d’Henri Mignet, reprit le flambeau dans la mesure où il conçut et développa de nombreuses variantes (Balerit, Cordouan) fidèles à la formule Pou du Ciel mais du type ULM (ultraléger motorisé) jusqu’à son décès récent en janvier 2010.
D’autres amateurs ou techniciens tels qu’Emilien Croses en France et Raymond Mossoux en Belgique furent les instigateurs de variantes de la formule, plus performantes du point de vue des techniques de construction autant que des caractéristiques de vol, notamment en ce qui concerne R. Mossoux avec le Butterfly, dont l’un des tout premiers exemplaires se distingua brillamment dans la première course d’ULM entre Londres et Paris en 1982 avec René Thierry, alors journaliste à la RTBF, aux commandes.

Construit par Pascal Recour, le Pou du Ciel de la belgitude baptisé « Vogelfrit 2 » et immatriculé 59CKF dont la construction fut terminée en 2008, ponctuant un chantier long de plus de dix ans.
Pascal Recour montre, avec un grand sourire, que son indicateur de vitesse du type Etévé n’en est pas seulement qu’un mais qu’en plus sa découpe esquisse un appareil de la formule Mignet !

Les pouducielistes: une tribu aussi sympathique qu’accueillante
Les pouducielistes constituent une espèce bien sympathique, car ils discutent volontiers le coup, échangent les astuces et méthodes de construction et n’hésitent jamais à aider leurs coreligionnaires dans la construction de leur machine volante. Il ne s’agit pas seulement d’avis et de conseils mais aussi de coups de main et de collaboration concernant des pièces particulières ou complexes, généralement métalliques. La transmission de dessins ou plans particuliers est fréquente. L’entraide entre pouducielistes et spontanée et exemplaire et c’est bien dans ce sens qu’on peut parler de tribu où règne la plus totale et la plus franche camaraderie. Tel fut incontestablement encore le cas à Cerfontaine en cette belle fin août 2010 et  même si la piste était fermée, six chouettes Pou du Ciel étaient alignés sur le tarmac.

« Le Roitelet », un splendide HM 293 que vient tout juste de terminer Michel Blairon, pilote de DPM à Matagne-la-Petite, constructeur amateur et ancien technicien en avionique sur F-16 au 2ème wing de Florennes.
Michel Blairon, fier à juste titre, devant le tableau de bord fort complet de son Pou du Ciel, lequel entamera ses essais dans les prochains mois.

D’abord la fort belle machine construite par feu Victor Collard qui a fière allure avec son moteur en étoile Salmson de 1938 qu’il avait acheté au constructeur français André Starck (père du célèbre designer). Cet appareil construit en un temps record fut immatriculé OO-35 en 1967 et vola fort bien durant de nombreuses années. Comme c’était le deuxième appareil construit de ses mains, Victor Collard le baptisa VC2 (marque sur la dérive) et l’excellence de sa construction valut à son constructeur et pilote d’obtenir le brevet « Outstanding Individual Achievement » de l’Experimental Aircraft Association américaine, organisatrice chaque été du plus grand rassemblement d’avions du monde à Oshkosh. Alain Blondiau, conservateur de ce splendide Pou du Ciel, a eu la bonne idée de l’exposer en compagnie de la belle moto Lion Rapide de 1952 dont feu Victor Allard était féru.

Un des Pou du Ciel parmi les plus étonnants de ces dernière décennies est indubitablement le HM 293 immatriculé 59CKF (dans le département français du Nord) construit par Pascal Recour. Celui-ci est pilote d’ULM et de parapente et a appris à piloter sur HM 1000 Balerit, version ULM des années 90 du Pou du Ciel. Pascal Recour est professeur de menuiserie dans l’enseignement technique spécial, ce qui explique le côté très bois de son Pou du Ciel, y compris les nombreuses marqueteries du fuselage, de la dérive et des enjoliveurs de roues. Le 59CKF de belle facture est l’aboutissement d’un travail de longue haleine, car s’étalant sur dix ans plus trois consacrés aux améliorations diverses. Baptisé « Vogelfrit 2 » lors de ses premiers vols en 2008, la machine construite par Pascal Recour pourrait être qualifiée de Pou du Ciel de la belgitude, ce qui est plus que clairement induit par le nom qu’il porte mais aussi par un vers d’une chanson de Jacques Brel gravé dans le moyeu de l’hélice (rêver un impossible rêve…) et les bouchons du capot sculptés dans le bois et représentant une tête de Totor et un profil de Loulou (toute ressemblance avec des célèbres personnages de BD belges est purement fortuite !). Pascal Recour fait fréquemment voler son Pou du Ciel depuis Cerfontaine où il compte baser le Butterfly immatriculé OO-639 qu’il vient d’acheter à Louis-Marc Regnier et dont l’état requiert une révision complète.

Le Pou du Ciel immatriculé 47DF dans le Lot-et-Garonne par Pierre Suzeau et que son fils vient de ramener en Belgique.
Pierre-Noël Suzeau amène son HM 360 sur le tarmac; le faible encombrement de la machine après repliage des ailes est manifeste et démontre qu’ainsi l’avion peut aisément être mis sur une remorque ou remorqué par la route.

Le HM 293 flambant neuf, même pas encore entièrement terminé, et fleurant la belle ouvrage est le fruit de quelques 1.300 heures de travail fournies durant cinq ans par Michel Blairon. Technicien en avionique sur F-16 à Florennes et à présent retraité, Michel Blairon est déjà pilote de DPM (deltaplane motorisé) à l’ulmdrome de Matagne et a construit son Pou du Ciel avec grand soin, y compris les ferrures, ce qui n’est pas une sinécure pour le constructeur amateur. Gréé d’un moteur Rotax 447 développant 40 à 42 CV, la machine doit encore recevoir une écope en fibres de verre et époxy pour prise d’air forcée pour la turbine du moteur ainsi que son saute-vent (une sorte d’appui-tête profilé à l’arrière de l’habitacle). Mais ces équipements de parachèvement seront bientôt terminés et Michel Blairon compte faire immatriculer son avion en France avant d’en effectuer les essais sur l’aérodrome de Cerfontaine fin 2010 ou début 2011. Clin d’œil bien sympathique: Michel Blairon a affectueusement surnommé son avion « Le Roitelet » étant donné la ressemblance frappante du Pou du Ciel avec cet oiseau, cousin du troglodyte nichant dans nos haies, et qui est caractérisé par un torse très bombé et une queue bien redressée…

Le tout beau HM 293 de Holger van Gent qui a été suffisamment intrépide pour l’amener par la route depuis Venlo, le convoyage en vol, nettement plus rapide, n’étant pas possible suite à la fermeture de la piste de Cerfontaine pour cause d’inondation.
Holger van Gent et son beau canari arborant une pin-up d’un style peu courant…

Le HM 360 immatriculé 47DF (dans le département du Lot-et-Garonne) a été construit par Bernard Domont et Pierre Suzeau qui le pilotait régulièrement jusqu’à son décès en 2002. Ce très beau Pou du Ciel est équipé d’un moteur Rotax de 45 CV refroidi par eau qui a nécessité un capot moteur relativement allongé, lequel a justifié un agrandissement conséquent de la dérive et du gouvernail de direction afin de ne pas compromettre la stabilité en lacet de l’appareil. Une hélice tripale en plastique ainsi qu’un silencieux sur l’échappement du moteur rendent l’avion très peu bruyant. Cette machine a été ramenée en Belgique par son fils Pierre-Noël Suzeau qui a, entre autres, piloté des ULM Mistral et Pionnier et qui l’a basée à Cerfontaine en début d’été d’où il compte bien la faire voler très bientôt.
Ayant appris par un coup de fil bien inspiré que Cerfontaine était fermé, Holger van Gent, constructeur et pilote du HM 293 immatriculé 59CFN, a quand même décidé de rejoindre Cerfontaine mais par la route. Il a donc chargé son Pou du Ciel sur sa remorque et a quitté Venlo aux Pays-Bas tôt dans la matinée pour arriver à destination en début d’après-midi. Il a fallu quatre ans à ce fabricant de meubles néerlandais, au demeurant fort sympathique, pour construire et perfectionner son Pou du Ciel tout jaune canari dont la finition est remarquable, en particulier pour le travail de tôlerie et le façonnage des capots métalliques du Rotax 503 deux-temps qui le propulse. Il a appris à voler sur HM 1000 Balerit en France, d’où l’immatriculation de son HM 293 dans le département du Nord (59) pour des raisons de facilité administrative autant que de coût d’immatriculation nettement plus abordable qu’aux Pays-Bas (et qu’en Belgique aussi, du reste…). Son  Pou du Ciel étincelant a effectué son premier vol en 2004 piloté par un ami, lui-même l’ayant fait voler pour la première fois le 18 septembre 2005.

Le BN Butterfly OO-639 construit en 1983 et qui vient d’être racheté par Pascal Recour qui compte bien le faire revoler bientôt après une révision générale.

Le dernier appareil de la formule Mignet ayant fait une apparition à Cerfontaine en ce samedi 28 août était le HM 14 immatriculé 08KB (dans le département des Ardennes). C’était le seul à voler ce jour-là et à virevolter dans le ciel de Cerfontaine à plusieurs reprises sans pouvoir s’y poser (piste fermée) et son pilote et constructeur, Sébastien Niel, s’en est retourné faire « la fille de l’air » (surnom de son zinc) à l’ulmdrome de Matagne-la-Petite tout proche et d’où il avait décollé plus tôt dans l’après-midi. Son petit HM 14 pétaradant dans l’azur a donné chaud au cœur de l’assistance et a sauvé l’honneur des pouducielistes !

Le HM 14 immatriculé 08KB était le seul avion à voler à Cerfontaine le samedi 28 août. Son constructeur et pilote, Sébastien Niel, a fait de nombreux passages avant de regagner son terrain de Matagne-la-Petite. (photo Jean-Pierre Decock)

Près de 150 appareils du type Mignet ont été construits ou lancés depuis 1935 en Belgique qui devient ainsi, et tenant compte de ses proportions, le royaume incontesté du Pou du Ciel et des pouducielistes : une race d’aviateurs qui ont mis tant de passion à construire leur avion avant de la piloter et parfois de le casser pour le reconstruire avec encore plus d’ardeur, lui insufflant ainsi une partie, sinon toute leur âme. C’est parce qu’ils sont des passionnés « pur jus » de la machine volante que leurs histoires, hommes et engins, sont si captivantes.

Jean-Pierre Decock
Photographies: Paul Van Caesbroeck

Jean-Pierre Decock

Jean-Pierre Decock

Brevet B de vol à voile en 1958. Pilote privé avion en 1970. Totalise 600 heures de vol dont 70 d’acro. Un œil droit insuffisant empêche toute carrière dans l’aviation. (Co-)Auteur et traducteur de 41 ouvrages d’aviation publiés en 4 langues depuis 1978. Compétences: histoire, technique et pilotage (aviation civile, militaire ou sportive).

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