Pas de jambes mais des ailes … le P4

“From wheelchair to pilot seat”. (Photo David Piron)

Aérodrome de Namur, le 6 décembre 2019. Ecrire des articles pour votre revue internet favorite permet de s’intéresser à des sujets bien variés mais aussi de faire des rencontres bien enrichissantes. Ce soir, j’ai rendez-vous avec Jean-Marie Degolla, pilote de planeur francophone handicapé des jambes. Outre la leçon de vie (c’est la première fois que je suis confronté en vis-à-vis aux réalités de ce handicap), c’est aussi l’occasion de découvrir une autre facette du vol à voile, le « handflight » ou « Comment voler avec ses mains ».

“From wheelchair to pilot seat”. (Photo David Piron)

Voler lorsque l’on n’a pas l’usage de ses jambes … c’est possible!
Depuis une quarantaine d’années, l’adaptation de commandes de vol en tout manuel a permis aux personnes ayant un handicap des membres inférieurs de pouvoir piloter avec les mêmes normes de sécurité qu’un avion normal. Cela a commencé avec les avions de tourisme, le premier avion ainsi équipé et certifié, un Morane-Saulnier Rallye, l’ayant été en 1974 aux Mureaux, en France. Des initiatives similaires ont bien entendu été prises dans d’autres pays comme l’Allemagne, la Grande-Bretagne et les USA. Suivirent ensuite des adaptations de commandes pour les ULM et les planeurs.

Il faudra attendre mai 2009 pour qu’un premier avion belge soit équipé à l’aéro-club d’Ursel et 2011 pour voir arriver le premier planeur équipé d’un malonnier à Maubray.

L’ASK 21 D-2495 du RTAC est le premier (et encore le seul) planeur adapté à l’écolage de base de pilotes handicapés des membres inférieurs en Belgique. (Photo David Piron)

Un malonnier … qu’est-ce?
Pour pouvoir piloter un aéronef, il faut pouvoir agir sur les différents axes. Si le tangage et le roulis se contrôlent grâce un manche à balais (le stick qui agit sur les ailerons et la gouverne de profondeur), l’axe de lacet nécessite d’agir sur la gouverne de direction traditionnellement commandée par une action des jambes sur les pédales du palonnier. Que faire alors si on n’a pas l’usage de ses jambes et que l’on n’a que deux mains?

Le cockpit de l’ ASK 21 peut être équipé d’un malonnier démontable. (Photo Guy Gildemyn)

Dans les avions, différents types de configurations existent vu l’existence également d’une manette des gaz. Pour les planeurs, la configuration est toujours la même (sauf sur quelques planeurs modifiés en Autriche ou le système est connecté au stick). Tout comme les embrayages et pédales de gaz ont été adaptées au volant dans les voitures, le malonnier, càd un palonnier manuel, remplace les commandes aux pieds et est fixé à gauche dans le cockpit. En complément, les mains étant alors mobilisées pour la direction, le levier d’action sur les aérofreins est cranté avec un système de cliquage afin de pouvoir le positionner dans le cran souhaité. Le principe est identique, seule la coordination des membres change en conjugaison du manche avec le malonnier. Ainsi pour virer à droite, il faut amener le malonnier en arrière tout en inclinant le stick à droite et inversement.

De Duo Discus D-KDXL du club Albatros de Kiewit est équipé d’un malonnier en place avant et arrière mais est plus adapté aux vols de performance qu’à l’écolage de base. (Photo Robert Verhegghen)

Ces adaptations sont le plus souvent « en kit amovibles », facilement démontables mais peuvent également être fixes. Comme tout en aviation ces modifications doivent être certifiées et le nombre de planeurs ainsi homologués ne sont pas légion. A ce jour, des adaptations fixes existent pour les différentes versions du Grob Twin Astir, du Schempp- Hirth Duo Discus (avant et arrière) et du SZD-54 Perkoz à prévoir à la construction lors de la commande. Le Schleicher ASK 21 peut être directement équipé lors de la construction mais dispose également d’un kit amovible « rétrofitable » homologué. En monoplaces le Discus, le LS 7 et le Jonker JS3 peuvent être équipés à la construction, le Centrair Pégase dispose d’un kit amovible. En motoplaneurs le SF25 et le Taurus de Pipistrel peuvent être équipés de malonnier lors de la construction.

Le malonnier, en apparence simple, est une transformation majeure des commandes de vol et doit être dument certifiée.

Le « Handflight Fund » et l’Ecole P4 du Royal Tournai Air Club (RTAC)
Jusque 2009, aucun aéronef n’était équipé en Belgique pour permettre le vol à des pilotes paraplégiques. Le 8 mai de cette année-là est créé au sein de la Fondation Roi Baudouin le Handflight Fund (www.handflight.be) qui se donne comme objectif de rendre accessible les différentes disciplines aéronautiques aux personnes ayant un handicap des membres inférieurs. Un premier projet initié en 2008 se concrétise à l’aéro-club d’Ursel avec l’adaptation du Piper PA 28 OO-VFR.

L’insigne de l’ Ecole P4. (Photo Jean-Marie Degolla)

En 2010, le CA du RTAC lance le « projet P4 » (pour Planeur Pour Pilotes Paraplégiques) et acquiert avec l’aide financière du Handflight Fund, de sponsors et de généreux donateurs un ASK-21 pouvant être équipé d’un « malonnier » en kit. L’investissement ne se limite pas seulement à la machine car le club adapte également son infrastructure afin d’accueillir ses hôtes à mobilité réduite. L’investissement financier est lourd, de l’ordre de 70.000€, et c’est un pari « osé ». Un premier stage de la nouvelle école « P4 » du club tournaisien a eu lieu en 2011 avec trois élèves un francophone et deux néerlandophones. En 2012, un de ceux-ci, Hans Claes, déjà pilote mais devenu paraplégique à la suite d’un accident, récupère sa licence. un second pilote, Nino Peeters, récupère en 2014 lui-aussi sa licence perdue avec l’usage de ses jambes. L’implication maximale de tous les membres du club est requise lors des journées de vol et on ne peut que féliciter le RTAC d’avoir mené à terme ce projet altruiste avec des membres qui sont toujours au taquet pour aider en piste leurs amis à mobilité déduite.

Gérard Corneillie, instructeur et président du RTAC en discussion avec Jean-Marie Degolla. (Photo Guy Gildemyn)

L’ASK 21 du RTAC a été très vite suivi dans notre pays par un deuxième planeur Schempp-Hirth Duo Discus XL (Turbo) neuf, adapté pour la performance, acheté par le club Albatros de Kiewit (Hasselt). L’adaptation au vol entièrement manuel avant et arrière, qui est de l’ordre 13.500€, s’ajoutant au prix planeur lui-même supérieur à 110.000€, doit être prévue à la construction pour ce type de planeur qui ne peut-être « retrofitté ». Le Duo Discus D-KDXL est livré en mars 2012 au club.

Une persévérance qui paie
Mais revenons au projet P4 devenu entretemps l’Ecole P4 et à notre ami Jean-Marie. Notre sympathique namurois se distingue de Hans et de Nino dont nous avons parlé ci-avant en ce sens qu’il n’avait jamais piloté avant de commencer la pratique du vol à voile. Intéressé par l’aviation depuis toujours, un accident de voiture en 1985 le privant de l’usage de ses jambes le « met par terre ». Les années passent mais Jean-Marie ne se laisse pas abattre. Il est actif dans la Ligue Handisport Francophone et fut président des Rolling Lions, club francophone de handbike à vocation sportive de haut niveau. Son intérêt pour l’aviation resurgit en avril 2014 lorsqu’il apprend que le RTAC organise en août un stage ouvert aux personnes handicapées des jambes. Un vol « découverte » à Temploux, et un autre à Maubray, sur l’ASK 21 adapté, finissent de le convaincre de tenter l’aventure. Décidé à apprendre à voler, Jean-Marie entame sa formation le 18 août lors du stage d’été organisé par le RTAC.

Jean-Marie est débordant d’enthousiasme pour son premier solo le 1er août 2015. (Photo David Piron)

Le 1er août 2015, soit exactement 30 années après son accident, Jean-Marie effectue son 1er solo au treuil. Très motivé et persévérant, il obtient 13 mois plus tard sa licence de pilote planeur (avec limitation AHL, « valid only with approved hand controls »). II réalise son gain de 1.000 m le 6 mai 2016. L’année 2019 le voit réaliser ses 5 heures et obtenir sa qualification « emport passager ». Il termine l’année avec 236 vols et 155 heures dans son carnet de vol dont 84 en tant que PIC (pilot in command).

C’est fait, il a réalisé son rêve. (Photo David Piron)
Dès le début de sa formation Jean-Marie s’est fait l’ambassadeur du vol à voile «adapté» notamment en participant à des rassemblements internationaux «Handiflight» comme en 2016 à Gruyères et à CAP Envol de la FFVP en 2019. (Photo Jean-Marie Degolla)
Le «Handflight Fund» accorde des aides financières pour rendre l’aviation accessible aux personnes handicapées des membres inférieurs. Cela va du financement de matériel à l’octroi de bourses de vol. (Photo Robert Verhegghen)

Déjà présent lors de rassemblements européens « Handiflight », il participe également avec enthousiasme à l’organisation des 1ères journées internationales de « Cap Envol », rassemblement de pilotes handicapés européens organisé par la Fédération Française de Vol en Planeurs (FFVP). En 2019, il a activement représenté la Belgique avec l’ASK 21 et un instructeur du RTAC au rassemblement qui a eu lieu à l’aérodrome de l’Ubaye, à Barcelonnette, du 29 juin au 5 juillet.

Un sentiment d’autonomie et de liberté retrouvé …à partager
Tellement heureux d’avoir pu vaincre l’adversité et d’avoir recouvré une certaine forme de liberté et d’autonomie, Jean-Marie se démène pour promouvoir le concept P4 et ouvrir la voie à d’autres compagnons d’infortune. Depuis sa création, l’Ecole P4 a eu au total une douzaine de pilotes handicapés qui ont suivi une formation. Ils ont soit commencé mais pas terminé cette formation, soit ils ont arrêté de voler pour diverses raisons, soit ils ont bifurqué vers l’ULM ou aviation générale. Jean-Marie se trouve être, actuellement, un des deux pilotes de planeur handicapé des membres inférieurs encore actifs à l’Ecole P4. Mais, s’il conserve son enthousiasme, il s’inquiète néanmoins de cette situation car la mobilisation d’un planeur de débutant par un pilote confirmé limite les capacités du club à former de nouveaux pilotes handicapés et ou même valides. Tôt ou tard le besoin d’un planeur monoplace se fait sentir.

«Le sentiment de laisser son handicap au sol». (Photo David Piron)

Afin d’explorer des voies de relance et mieux faire connaitre les possibilités qui existent, le CA de la FCFVV a créé une commission présidée par Jean-Marie. En plus de la motivation personnelle qu’il faut garder, la méconnaissance générale du vol à voile et ses contraintes habituelles, d’autres raisons de cet apparent désintérêt sont à chercher dans l’ignorance de l’accessibilité de cette discipline aux pilotes handicapés des membres inférieurs et comme il se sait peu, qu’une bourse d’écolage pour ces élèves pilotes paraplégiques (et assimilés), de l’ordre de 1.100€ peut être délivrée, sus conditions par le Handflight Fund. Se pose également la question de la disponibilité de planeurs équipés de malonnier, notamment monoplaces, et une plus grande variété de localisation. C’est une longue croisade ou le financement reste le nerf de la guerre. Ce sont des questions difficiles à résoudre et il y a de nombreuses pistes à explorer. En attendant de futurs développements, l’Ecole P4 reste la seule option possible pour apprendre à voler « ab initio ».

Nous profitons de cet article pour faire appel à nos lecteurs: si vous êtes handicapé des membres inférieurs et rêvez de voler ou connaissez des personnes ayant ce handicap voulant apprendre à voler, n’hésitez plus et contactez le RTAC (https://tournai-air-club.eu/pilote-paraplegique-2/). Des vols « découverte » sont possibles pour vous inoculer le virus. On vous y attend car plusieurs stages sont prévus cette saison!

Vous pouvez également contacter Jean-Marie (jmdegolla@gmail.com) qui vous parlera avec passion du sentiment de liberté retrouvé en vol, ce qui ne manquera pas de vous convaincre.

N.B: Voor onze Nederlandstalige lezers, aarzel niet om contact op te nemen met de RTAC daar de opleiding ook in het Nederlands wordt gegeven (www.handflight.be/zweefvliegen-basis-gpl).

Texte: Bob Verhegghen
Photos et remerciements: Jean-Marie Degolla, Guy Gildemyn, David Piron, Robert Verhegghen.

Bob Verhegghen

Bob Verhegghen

Né au Congo en janvier 1952. Passionné d’avions militaires et de maquettes dès mon plus jeune âge. Auteur de nombreux articles historiques et ou de maquettisme sur la force Aérienne dans diverses revues et dans la revue KIT de l’IPMS Belgium. J’ai un intérêt particulier pour les planeurs anciens, la Force Aérienne d’après-guerre et les T-6, (R) F-84F, et Mirage. J’ai le soucis de l’exactitude et du détail pour mes maquettes. Pilote de planeur depuis 1977, instructeur avec près de 900 heures de vol je suis l’heureux copropriétaire de l’ASK-13 ex PL-66 des Cadets de l’Air (aujourd’hui D-3438) basé à Temploux.

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