Anvers, le 24 décembre 2019. Nous avons récemment été contactés par M. Philippe Enthoven, neveu de Louis Enthoven, ancien membre de l'Aviation Club d'Anvers (AAC). Philippe nous a raconté quelques anecdotes sur son oncle, notamment qu'il avait piloté un avion d'Anvers à Varsovie en 1932 et remporté le prix du plus long vol aller.
L'avion – l'Orta Saint-Hubert G-1
Jef Guldentops, figure emblématique de l'aviation militaire belge, rejoignit la SNETA, prédécesseur de la Sabena et de la SABCA, dès sa création. Après avoir conçu des sous-marins, Jef Guldentops créa un prototype techniquement avancé, le Walter Orta-Saint-Hubert G-1. Immatriculé 0-BABI (puis 00-ABI), il effectua son premier vol le 2 septembre 1928.

L'Orta Saint-Hubert G-1 était un monoplan « pare-soleil » à une, deux ou trois places, propulsé par un moteur de 60, 85 ou 100 ch (Renard pour ce dernier). Son prix était alors extrêmement compétitif, et quinze exemplaires sortirent des ateliers en trois ans. Trois furent construits à Evere (O-BABI, OO-AKH, OO-AKL), suivis d'une douzaine à Saint-Hubert. Les sept premiers furent immatriculés par le Club des Aviateurs de Bruxelles (CAB), les autres par le Cercle Liégeois d'Aviation de Tourisme et l'Aviation Club d'Anvers. Le secrétaire général du CAB et membre fondateur de l'AAC, le comte Arnold Looz-Corswarem, acheta le troisième et dernier exemplaire construit à Evere, OO-AKL, avec lequel il effectua un vol de Bruxelles à Oran (Algérie) en 1931, retournant en mars 1931.
Le premier Saint-Hubert G-1 de l'AAC est resté dans notre flotte de février 1930 à octobre 1934. Le 13 juillet 1931, il fut rejoint par un autre modèle : l'OO-AMB. Celui-ci était équipé d'un moteur en étoile cinq cylindres Renard de 100 ch. Un avion belge avec un moteur belge, donc ; c'était encore possible à l'époque. Aujourd'hui, bien des années plus tard, nous construisons à nouveau des avions en relativement grande série (SV.4RS, Sonaca 200) et équipés de moteurs (ULPower, D-Motor). Qui sait, peut-être qu'un jour nous aurons à nouveau une conception entièrement belge !

Caractéristiques
Envergure : 9,98 m / Longueur : 6,40 m / Hauteur : 2,40 m / Surface alaire : 16 m² / Poids à vide : 345 kg / Poids maximal au décollage : 550 kg
Moteur
Walter, cinq cylindres en étoile, refroidi par air, 60 ch ou Renard 100 ch
Performance
Vitesse maximale : 140 km/h / Plafond : 3 700 m / Autonomie : 600 km.


Le vol vers Varsovie
Louis Enthoven était un véritable autodidacte, actif dans l'industrie des pièces automobiles. Il apprit à piloter à l'école de pilotage de Stampe et se retrouva rapidement inscrit sur la liste des membres de l'Aviation Club d'Anvers sous la rubrique « Pilotes ».

À bord de l'OO-AJP, il vécut un moment terrifiant : le moteur de l'avion tomba en panne, le forçant à atterrir d'urgence derrière le commissariat de police de Deurne-Noord. L'avion subit de graves dommages, mais ceux-ci furent réparés ultérieurement, contrairement à ce qu'annonçait un journal de l'époque. Louis et son passager sortirent cependant indemnes de cet atterrissage forcé.
Les 18 et 19 juin, l'Aéroclub de Varsovie, fondé en 1927 comme l'AAC, organise une réunion internationale d'aviation à l'aéroport de Mokotów, qui restera l'aéroport de Varsovie jusqu'en 1934. On ne sait pas comment Louis l'a appris, mais il veut certainement y être, et il utilisera le Saint-Hubert G-1 OO-AMB du club.

Vendredi 16 juin 1932, à 6 heures du matin : Louis, avec Ir. R. Van Bree comme passager, quitte Deurne, survolant brièvement la maison de ses parents à Ekeren, puis se dirige directement vers Amsterdam, avant de passer par Hambourg, une boucle au-dessus de Copenhague et Malmö pour rejoindre Berlin. Le lendemain, après des escales à Poznań et Dantzig (Gdansk), ils mettent le cap sur Varsovie.

Une certaine confusion règne dans la presse quant à l'itinéraire emprunté. Il est certain que la météo a joué un rôle important et que le vol a duré deux jours. Les formalités douanières en Pologne ont également été plus longues que prévu. Un magazine d'aviation polonais de l'époque rapporte qu'il a parcouru une distance de 1 966 kilomètres au cours de son vol. Il a ainsi remporté haut la main le « Zlot gwiaździsty zawodn. Zagr » (qui signifie apparemment « Rallye international professionnel des étoiles » ?) du vol le plus long, devant un concurrent venu de Yougoslavie. Son nom figure également dans la compétition « Atterrissages rectangulaires » ; compte tenu de son score de 144 mètres, on suppose qu'il s'agit d'une compétition d'atterrissage sur la distance la plus courte.

La nouvelle s'est rapidement répandue dans le pays et un télégramme de félicitations a été envoyé directement par l'aéroclub d'Anvers à l'heureux gagnant.

Le mardi suivant, ils reprirent l'avion pour Anvers, cette fois par le chemin le plus court. Ils décollèrent de Varsovie à 6 h 55 ; à 21 h 03, 1 100 km plus loin, ils atterrirent à Deurne. Ils firent escale à Poznań, Berlin et Hanovre.
Un comité d'accueil complet l'attend à Deurne : outre le président de l'AAC, Max Orban, le secrétaire Pierre Schellekens, le trésorier Carlo Meerbergen et plusieurs membres du conseil d'administration, le commandant de l'aéroport Scheldeman et le directeur de la Sabena, Bertin, ont également tenu à accueillir personnellement le lauréat. MM. Stampe et Vertongen, ainsi que la famille Enthoven, seront également présents.
Lors d'une réception au club-house, Louis a longuement évoqué son expérience lors de ce voyage. Le pilote a souligné la sécurité et la fiabilité de son avion et de son moteur de fabrication belge !
On ne sait pas combien de temps dura cet accueil… Quelques jours plus tard, Louis reçut les félicitations personnelles du ministre Forthomme. Je ne vois pas cela se reproduire aujourd'hui…





Le fils aîné Jim Enthoven et son neveu Philippe Enthoven m'ont beaucoup parlé de leur père et de leur oncle pilotes, respectivement, et m'ont fourni des informations intéressantes sur le sort de l'OO-AMB.
Louis se consacra initialement à la vente de pièces automobiles. Il fonda alors ARPIC (Automobile Repair Parts Inc.). À partir de 1937, il se consacra à la production de compresseurs (mobiles) et fonda ARPIC Engineering NV.


Quiconque emprunte la Boomsesteenweg entre Wilrijk et Aartselaar aujourd'hui remarquera peut-être le siège administratif d'Atlas Copco Airpower. Ce bâtiment, qui fait également partie de notre patrimoine industriel, n'était autre que le siège d'ARPIC, l'entreprise de Louis Enthoven, rachetée par Atlas Copco en 1956 et qui abrite aujourd'hui la plus grande usine de compresseurs au monde !

Lorsque les activités civiles reprirent à Deurne après la Seconde Guerre mondiale, Louis vola pendant un certain temps, mais en 1950, il cessa de le faire.
Et le OO-AMB ?
Aussi fascinant que puisse être le monde de la technologie des compresseurs, j’étais encore plus intéressé par l’histoire de la vie de l’OO-AMB, l’avion que Louis Enthoven avait si souvent piloté.
Le 9 septembre 1931, l'avion est immatriculé au nom de Louis Enthoven.
Dans son livre « Het Luchthaven te Stene-Oostende 1920-1945 », feu Walter Major décrit la réunion aérienne d'Ostende du dimanche 14 août et du lundi 15 août 1932. Les pilotes participants devaient décoller de Keerbergen toutes les cinq minutes et tenter d'atterrir à Stene une heure plus tard. Louis Enthoven était aux commandes de l'OO-AMB et devait effectuer un atterrissage en mer le 15 août, lors du vol entre l'aérodrome de Keerbergen et Ostende-Stene. L'avion fut gravement endommagé, mais Louis s'en sortit indemne et arriva à Stene en voiture le jour même.

L'avion est en cours de restauration et reçoit une nouvelle livrée. Bien qu'il ait été immatriculé au nom de l'Aviation Club d'Anvers en décembre 1932, je doute qu'il ait réellement appartenu au club. À cette époque, il était courant pour les propriétaires privés d'immatriculer leur avion auprès d'un club afin de bénéficier de conditions de vol plus avantageuses grâce aux subventions qu'ils recevaient à l'époque. La nouvelle livrée n'est pas non plus exactement celle de l'AAC alors en vigueur. J'ai pu consulter le carnet de vol de Louis, qui indique qu'il a volé fréquemment avec l'OO-AMB jusqu'au 28 août 1938. Puis, le carnet indique soudainement une période sans vol jusqu'au 26 mai 1939. On voit ensuite Louis effectuer quelques vols, mais plus jamais à bord de l'OO-AMB. Étrange.

D'ailleurs, les vols de Louis cessèrent peu de temps après, mais ce n'était pas inhabituel : les civils n'étaient plus autorisés à voler à partir de l'été 1939 en raison de la menace imminente de guerre.
Au printemps 1940, de nombreux avions civils, dont le SV-4 d'Elza Leysen, furent réquisitionnés par l'armée. Mon cousin Philippe a témoigné que, enfant, pendant la guerre, il jouait dans un avion qui se trouvait alors dans le garage de son oncle. Bien sûr, il ne se souvient plus si l'avion était endommagé. Était-ce l'OO-AMB ?
Plus tard, pendant la guerre (1941 ?), Louis décida finalement qu'il était sage de signaler la présence de l'avion dans son garage aux occupants allemands. Ils arrivèrent rapidement avec un camion pour le récupérer. Et à partir de ce moment-là, comme pour tant d'autres avions, nous perdîmes complètement la trace…
Paul Hopff

