Fouga-mouflé

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En mars 2018 me revient à l’esprit la journée du 14 août 2009 à Loncin. C’était l’inauguration d’une nouvelle salle muséale au fort de Loncin consacrée au Handley-Page Halifax et son équipage crashés à proximité en juillet 1943. Deux anciens de Bierset, très actifs au White Bison, étaient présents : Jean Loncelle et Hubert Sermon, ce dernier ayant réalisé un superbe dessin de profil du Halifax NF-P/HR734 offert à Monsieur Macours, curateur du musée dont question ci-dessus.

Le Fouga CM170.R Magister camouflé à la sortie du hangar de peinture à Bierset en 1983. (Hubert Sermon)
Le MT-35 au décollage à Bierset pour le vol de réception après grande révision. (Hubert Sermon)
En vol au-dessus de la région liégeoise, le Fouga MT-35 démontre toute la pertinence du camouflage dit « Viêt-Nam » tel qu’appliqué aux avions de combat belges. (Hubert Sermon)

Comme souvent dans ce type de manifestation, les conversations vont bon train et, je ne sais par quel déclic, le Fouga Magister vint sur le tapis. Il fut question, impromptu, du seul Fouga CM170.R Magister belge à jamais être porteur d’une livrée camouflée. Hubert Sermon reprit la balle au bond en disant qu’il avait eu l’idée (mais pas l’autorisation officielle) de peindre au schéma de camouflage des Mirage 5 l’un des Magister du Flight Fouga du 3ème wing tactique basé à Bierset. Le fait fut confirmé par Jean Loncelle, collègue et ami de Hubert Sermon et, comme lui, Adjudant-chef à la retraite ayant longuement été affecté à Bierset.

En virage sur la tranche, le MT-35 montre bien les délimitations du camouflage appliqué aussi sur l’intrados des plans de l’empennage en V. (Jo Huybens)
Le MT-35 décapé de son camouflage se présente à l’atterrissage à Brustem en 1989, alors qu’il était affecté à la toute nouvelle 33ème escadrille. (Jean-Pierre Decock)
La « ligne Fouga » avec les MT-35 et 36 en cours de ravitaillement en carburant à Brustem en juin 1988. (Jean-Pierre Decock)

La Force Aérienne Belge mit cinquante Fouga CM170.R Magister en service à partir de 1960, y compris les cinq acquis en 1970 au titre de complément auprès de la Luftwaffe. Cet excellent avion d’entraînement français fut retiré du service actif en 1979, car remplacé par l’Alphajet. Les Fouga Magister furent, dans un premier temps, stockés à Coxyde. De ceux-ci, huit exemplaires furent vendus à Israel Aircraft Industries qui, à sont tour, en revendit sept dans le secteur civil.

Le dernier Magister opérationnel à la Force Aérienne, d’où le slogan « The Last of the Many » peint sur l’extrados des ailes, lors d’une des dernières démonstrations en vol du Lieutenant-colonel Aviateur Paul Rorive à Kleine-Brogel le 17 juillet 2007. (Jean-Pierre Decock)
Retour un peu penaud du MT-35 le 27 septembre 2007 après avoir explosé un compresseur en seuil de piste, juste au moment du décollage pour sa toute dernière présentation en vol. (Jean-Pierre Decock)
Stocké à Beauvechain après son retrait du service, le MT-35 a récupéré une partie de son camouflage en juin 2009 grâce à la bâche de protection du cockpit. (Jean-Pierre Decock)

Vu les restrictions, principalement budgétaires, infligées à la Force Aérienne, il fut décidé de déstocker et de reconditionner les Magister de Coxyde pour constituer les Flights Fouga sur les bases afin de servir à l’entraînement à coût très réduit (en comparaison aux avions d’arme) mais également en tant qu’avions de liaison rapide. C’est ainsi qu’à partir d’avril 1980 le Flight Fouga de Kleine-Brogel reçut trois Magister en dotation, ceux de Florennes deux et de Beauvechain quatre, le solde étant partagé entre les flights de Brustem et de Bierset (trois machines). Parmi ces derniers, le MT-35 devait aller en IRAN (Inspect and Repair As Necessary ou grande révision), cette tâche se terminait par la peinture de l’avion. C’est là que Hubert Sermon, réputé dans toute la Force Aérienne pour ses facéties, eut l’idée un peu saugrenue de le peindre au camouflage dit « Viêt-Nam » appliqué sur de nombreux avions de combat de l’OTAN et les Mirage belges. Ce camouflage se composait de trois tons, à savoir vert foncé, vert moyen et ocre foncé, le dessous étant gris clair ou métal naturel, les bidons en bout d’aile étant peints en orange fluorescent (dayglo). Hubert Sermon accomplit le travail tout seul et dans un secret relatif, seuls quelques collègues étaient au courant et soutenaient son initiative. C’est ainsi que le MT-35, façon Mirage, fut révélé à Bierset fin 1983. Les pilotes et fanas de tout poil ne purent cacher leur plaisir et trouvaient super le Fouga ainsi travesti, ce qui était loin d’être le cas de certains haut gradés, mais leur mauvaise humeur n’alla – heureusement – pas jusqu’à l’interdiction. On put voir dès lors le MT-35 déguisé en guerrier lors de meetings ou de journées portes ouvertes en Belgique et dans les pays limitrophes entre 1984 et 1987. Les Flights Fouga furent dissous au tout début 1988 et tous les Magister furent rassemblés à Brustem en vue de créer la 33ème escadrille. Cette escadrille était dévolue aux pilotes visiteurs, c’est-à-dire ceux qui avaient une fonction d’état-major ou administrative, leur permettant de maintenir leurs prestations de vol.

Gros plan sur le badge « The Last Whistling Turtle » (la dernière tortue sifflante) appliqué sur l’ultime Fouga en service évoque le bruit strident de ses réacteurs Turboméca Marboré et la lenteur (relative) de l’appareil par manque de puissance. (Jean-Pierre Decock)
Le 7 mars 2014 à Beauvechain, soit sept ans après sa mise au rancart, le MT-35 montre quelques signes de décrépitude, particulièrement pour les parties peintes en orange fluorescent très sensible aux intempéries. (Jean-Pierre Decock)

Le MT-35 camouflé ne dérogea pas à la règle et continua de voler tout de camouflage vêtu jusqu’à sa révision complète par les techniciens de la base de Brustem en 1988, suite à quoi il réapparut en livrée tout métal avec parements oranges des avions d’entraînement. Le poulain de Hubert Sermon avait donc vécu… mais le gaillard n’en était pas à son premier essai du genre dans la mesure où, pour le dernier vol de l’Adjudant-chef Aviateur Guy Rothheuth fin 1978, il avait peint la 2 CV Citroën de celui-ci en camouflage Mirage avec l’indicatif BA23.

Fin 1978, la 2 CV de l’Adjudant-chef Aviateur Guy Roththeuth a été camouflée à son insu à l’occasion de son dernier vol sur Mirage 5. Les auteurs du barbouillage (Miel Peeraer à gauche et Hubert Sermon à droite) encadrent le pilote. (MPA)

Bien que le MT-35 fusse rentré dans le rang, il n’en continua pas mois de voler et de servir intensivement. Après la fermeture de la base de Brustem en 1996, la 33ème escadrille déménagea à Beauvechain. Cette unité fut dissoute le 7 décembre 1999, devenant le Flight Fouga rattaché organiquement à la 7ème escadrille du 1er wing training de Beauvechain. Dès lors, le Lieutenant-colonel Aviateur Paul Rorive en devint le présentateur enthousiaste et fort sollicité par les organiseurs de fêtes aériennes en France, en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas et tout aussi fréquemment en Belgique. Cet « état de grâce du Fouga » demeura jusqu’en 2007, car en fin de saison, le MT-35, dernier des cinquante Fouga Magister de la Force Aérienne Belge toujours en état de vol, devait être mis définitivement au sol. Le dernier jour de service du MT-35 était programmé au 27 septembre 2007. La machine effectua le traditionnel tour des bases par les avions retirés du service. Une grande fête était prévue dans l’après-midi au cours de laquelle Paul Rorive devait accomplir l’ultime vol d’un Magister au sein de la Force Aérienne. Le MT-35 se trouvait dans la zone attribuée au public à Beauvechain et fut tracté jusqu’à la zone opérationnelle située à proximité. Une litanie de fanas suivait le Fouga à petits pas dans la bruine qui sévit toute la journée, ce qui faisait penser aux cortèges funèbres d’antan dans nos campagnes. Le Magister fut mis en route, taxia jusqu’au seuil de piste mais ne décolla pas, apparemment à cause d’une panne de compresseur à l’un des réacteurs Turboméca Marboré. L’avion revint vers son aire de parcage et coupa ses réacteurs face aux nombreux supporters, un peu dépités quand même. Le Fouga CM170.R Magister quittait la scène aéronautique belge après une très longue carrière s’étendant sur 47 ans, le record de longévité de service parmi les appareils de la Force Aérienne Belge.

L’emblème de la FATAC créé par l’Adjudant Hubert Sermon au Congo tel que peint sur le nez des C-47 et en tant qu’insigne métallique émaillé. (Dakota Center)
A Loncin le 14 août 2009, Hubert Sermon (à droite) et Jean Loncelle (à gauche) offrent au curateur du musée, Monsieur Macours, un tableau du Halifax NF-P/HR734 réalisé par Hubert Sermon. (Jean-Pierre Decock)

Pour conclure avec un ultime clin d’œil, signalons que Hubert Sermon fut de l’aventure de la FATAC (Force Aérienne Tactique Congolaise) avec des équipages belges et des avions américains aux couleurs de la Force Aérienne Congolaise dans les années 60 du siècle dernier et qu’il fut le créateur de l’emblème de ce corps aérien, lequel est empreint de fantaisie et d’humour, caractéristique de ce sous-officier technicien pour le moins original.

Jean-Pierre Decock

Jean-Pierre Decock

Jean-Pierre Decock

Brevet B de vol à voile en 1958. Pilote privé avion en 1970. Totalise 600 heures de vol dont 70 d’acro. Un œil droit insuffisant empêche toute carrière dans l’aviation. (Co-)Auteur et traducteur de 41 ouvrages d’aviation publiés en 4 langues depuis 1978. Compétences: histoire, technique et pilotage (aviation civile, militaire ou sportive).

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