1951 – 1959. L’ère « Bladt » ou quand les Diables Rouges n’étaient (pas encore) ni diables ni rouges

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Beauvechain, 26 octobre 2017. En ce jeudi la Force Aérienne clôture la saison 2017 des teams de démonstration. C’est aussi l’occasion pour la patrouille acrobatique des « Diables Rouges » qui opère sur Siai Marchetti de fêter son 60ème anniversaire. Ceci nous ramène à 1957 année pour le moins sujette à discussions car le nom « Diables Rouges » n’a été utilisé qu’à partir de fin juin 1959 et que les premiers Hawker Hunter peints entièrement en rouge ne sont apparus en public pour la première fois qu’en avril 1960. De quoi se poser quelques questions et raviver de beaux souvenirs …

Rixensart, 20 juillet 1982. Le col.avi. e.r Robert « Bobby » Bladt me reçoit en sa demeure. Il a préfacé ma plaquette « Histoire du F-104G Starfighter à l’Otan » qui vient de paraitre aux « Editions 17 » et je suis venu l’en remercier. L’accueil est très chaleureux et le colonel toujours aussi enthousiaste et passionné. Très vite la discussion va tourner autour de la patrouille des « Diables Rouges » qu’il a créée. J’ai préparé notre entrevue avec des tas de questions que je me pose sur le nom, les avions rouges etc. Passionné de maquettes, je suis aussi intrigué depuis longtemps par un dessin de Gill Van Dessel (plus connu sous le nom de Mister Kit) paru dans le périodique Spirou en 1963. Ce dessin montre le Hunter F6 IF-69 OV-G de la 8ème escadrille du 7ème Wing de Chièvres en camouflage standard mais dont l’intrados est peint aux couleurs nationales.

Dessin paru dans le journal Spirou en 1963. (Archive Gill van Dessel)

Les débuts
Dès 1951 un peloton acrobatique, créé de manière informelle par le capt.avi. Robert Bladt C.O de la 350ème escadrille depuis le 24 avril 1951, s’est fait remarquer à Beauvechain. Il s’entraine à l’acrobatie en formation avec plusieurs pilotes pendant les heures creuses sur les nouveaux Gloster Meteor F8  qui viennent de remplacer la version F4. Robert « Bobby » Bladt est un ancien de l’Aéronautique Militaire avant-guerre et de la RAF. Il s’est entouré de trois pilotes de talent, le capt.avi. Pol Dewulf (ailier droit) chef de flight de la 350 qui a déjà évolué en 1950 dans le peloton acrobatique du Maj. Avi. Guy De Patoul qui volait sur les Meteor F4 et les Slt.avi. Bill Ongena (ailier gauche) et Yvan Deprins (charognard). Lors d’une réunion des commandants de base organisée à Beauvechain par le Groupement Opérations de l’Etat-Major, les Col.avi. Pierre Arendt, Michel Donnet et Raymond. Lallemant assistent à un entrainement du team et félicitent les pilotes en les encourageant à persévérer. Le Col.avi. M. Donnet donne aux pilotes l’autorisation d’un entrainement plus soutenu en vue d’un meeting à Anvers (qui n’aura pas lieu). Le succès ne se fait pas attendre dès 1952 lors des meetings de Gosselies le 18 mai au cours duquel ils recevront de la société Fairey S.A des combinaisons de vol blanches et de Deurne le 8 juin.

Acrobobs
Invités par l’Armée de l’Air Française le 6 juillet à un concours d’acrobaties en formation lors du Meeting National de l’Air de Lyon-Bron, nos quatre pilotes sont opposés à deux formations françaises (sur Thunderjet et Vampire) anglaise (sur Vampire) et les Skyblazers américains (sur Thunderjet). Pour sa première prestation à l’étranger elle gagne la coupe offerte par le Ministère de l’Air et se crée une solide réputation au point que le major Evans, leader des Skyblazers déclare: « The best team I ever saw in Europe ». C’est lors de ce meeting ou au cours du Meeting OTAN du 13 juillet à Melsbroeck que date le nom de « Acrobobs ». En remettant au team belge un tableau représentant les Skyblazers, le leader américain demande à qui il doit le dédicacer et Bobby Bladt de répondre à brûle pourpoint « aux Acrobobs ». Ce meeting sera malheureusement endeuillé en clôture par le crash, suite à une mise en vrille, du prototype du Nord N.2501 Noratlas. A son bord disparait la grande aviatrice Maryse Bastié, capitaine de l’Armée de l’Air et détentrice de nombreux records de durée et de distance. A la suite de ce meeting, les invitations s’enchainent durant l’été en Belgique et à l’étranger.

Les Acrobobs volent sur des Gloster Meteor F8 de la 350 escadrille de Beauvechain. (Archive S. Bonfond)

En octobre 1952, les nécessités opérationnelles l’emportent. Robert Bladt rejoint l’Ecole de Chasse de Coxyde et le reste du team est dispersé au gré des mutations. Mais la demande en instructeurs est très forte. Les bons pilotes que sont Dewulf et Ongena n’y échappent pas et se retrouvent également à Coxyde tandis que Yvan Deprins rejoint l’Ecole de Guerre. Bladt, qui a retrouvé ses ailiers, continue à s’entrainer et le team est reconstitué à l’occasion d’une invitation de la Koninklijke Luchtmacht à participer à un grand meeting de l’OTAN à Soesterberg le 18 juillet 1953. Un nouveau pilote fait son apparition en tant que réserve, le Sgt. pilote Pierre Tonet qui vient d’être muté de Chièvres à Coxyde comme instructeur. En 1955 les mutations ont à nouveau raison du team. Pol Dewulf et Bobby Bladt quittent Coxyde pour l’Ecole de Guerre et des fonctions à l’Etat-major. Occasionnellement, le team se reconstitue pour des démonstrations locales.

L’occasion de revenir au premier plan de manière officielle se présente avec l’invitation de l’Italie à la F. Aé d’envoyer un peloton acrobatique au grand meeting international qu’elle organise en juin à Rome-Fiumicino. En ce milieu des années cinquante, temps très troublés face à la menace soviétique, l’extension du nombre d’escadrilles dans le cadre de l’OTAN engendre une très forte demande de pilotes. Sous l’impulsion de son chef d’Etat-Major le Lt. gen. avi. Leboutte, la Force Aérienne aime faire parler d’elle et est très active au niveau des relations publiques. Chaque base est encouragée à organiser des « portes ouvertes » ou des meetings. Chacune veut montrer son professionnalisme, constituer un team acro, inviter les meilleurs pilotes ou les pelotons acrobatiques des bases voisines. Ainsi le peloton acrobatique de l’Ecole de Chasse animé par Robert Bladt se voit mis en concurrence avec d’autres patrouilles. Le 2 mai à Beauvechain le team de Coxyde composé de Bladt, Deprins, Ongena, Tonet et Dewulf qui est parvenu à se libérer pour l’occasion de ses cours à l’Ecole de Guerre est sélectionné et s’en va défendre les couleurs nationales en Italie. Elle fait grande impression et la revue britannique « Flight », qui est une référence, ne tarit pas d’éloges. Particulièrement la prestation de Pierre Tonet qui occupe la position centrale du box de 5 avions est remarquée. Le 11 octobre 1956 les Acrobobs donnent leur dernière représentation à Brustem à l’occasion des fastes de la Force Aérienne qui fête les 10 années de sa création.

Les » Acrobobs » de g. à d: Lt. avi. William « Bill » Ongena ; Cpt.avi. Robert « Bobby » Bladt, Lt. avi. Yvan Deprins, Cpt.avi. Paul Dewulf. (Archive S. Bonfond)

1957 Création du peloton acrobatique du 7ème Wing de la base de Chièvres
Fin 1956, la 7ème escadrille « cocotte rouge »  du 7ème wing de Chasse de Jour, basée à Chièvres, perçoit les premiers Hawker Hunter F4 amenés à remplacer les Gloster Meteor F8. En février Robert Bladt quitte l’école de chasse pour devenir le n°2 de la base en tant que chef du groupe de vol (O.S.N – officier supérieur naviguant). Son « baseco » est le Lt.col.avi Guy de Bueger qui vient de succéder en octobre 1956 au Col. avi Marcel Mullenders. Yvan Deprins rejoint quant à lui la 350ème escadrille qui se rééquipe également en Hawker Hunter F4 et Bill Ongena rejoint la base de Kamina. Pierre Tonet, devenu lieutenant, a déjà rejoint la 8ème escadrille au début de l’année 1957. Les deux amis pilotes s’entrainent directement sur le nouvel avion qui a tout d’un pur-sang façonné pour l’acrobatie.

Le maj.avi.Robert “ Bobby” Bladt, OSN de la Base de Chièvres 1957-1960 (Amilpress)

Le lieutenant- général avi. Burniaux, nouveau chef d’Etat-Major qui a succédé à Lucien Leboutte, met l’accent sur le recrutement de pilotes. Un effet négatif des premières formations d’unités de missiles sur le recrutement nécessite en effet de renforcer l’attrait de la F. Aé auprès des jeunes et la demande se fait pressante auprès des commandants de base d’ouvrir leurs portes et de promouvoir le métier. Le Lt. col. avi. De Bueger demande alors à Bladt de créer un team de quatre avions. Reste à trouver deux nouveaux équipiers. Le choix se porte sur les sergents pilotes François Bodart et André Doumont. Tous deux ont déjà fait partie d’un peloton acrobatique créé en 1956 sur les premiers Hunter par le capitaine avi. Raymond Van Keymeulen qui vient de recevoir sa mutation pour Bierset.

Le Cpt. avi. Raymond Van Keymeulen lors de la présentation à la presse le 10 août 1956 des premiers Hunter F4 sans récupérateur de douilles, appelés « nichons » par les pilotes. (Amilpress -via R. Van Keymeulen coll RV)

Bobby Bladt rapporte qu’au bar de l’escadrille en parlant des deux nouveaux arrivant de Coxyde un pilote s’extasie en disant « Vous avez vu les gars de la 350, pas mal pour un début » et Raymond Van Keymeulen, dit « le lange » du fait de sa taille, de répondre « On ne les a pas attendus pour faire de l’acro à Chièvres ». Le Cpt. avi. Van Keymeulen deviendra un démonstrateur « solo » remarquable tant sur Hunter à la 26ème escadrille de Bierset qu’il commandera jusque mi-1959 que sur Meteor au « Towing Flight » de Coxyde. Moins médiatisé que les pilotes de patrouille, il reste connu pour un spectaculaire « rase-motte » qu’il effectuera en Meteor F8 lors du meeting de Chièvres du 23 juin 1963 au point de revenir avec les nacelles de réacteur maculées d’herbe, exploit qui ne lui vaudra pas que les félicitations de la hiérarchie (Raymond Van Keymeulen qui fut un de mes collègues me racontera en 1983 avec sourire en se caressant la moustache qu’il était en effet allé un peu trop bas, beaucoup plus bas que prévu- voir www.youtube.com/watch?v=qHHKX7Csno8 à la minute 2.4)

L’entrainement des quatre pilotes commence sans tarder au mois de mars. François Bodart occupe la place d’ailier gauche et René Doumont celle de charognard. Les avions sont prélevés sur la ligne de la 7ème escadrille et ne sont pas attribués au team. La patrouille ne porte pas de nom, « Acrobobs » n’étant plus repris. Rapidement les invitations arrivent également de l’étranger. Après un premier meeting à Valenciennes (F) le 12 juin dans de mauvaises conditions météo, une autre prestation est prévue le 24 août à Cannes (F). Dans l’intervalle la patrouille peaufine son show à l’entrainement et au cours de meetings nationaux en juin et juillet à Kleine-Brogel, Brustem et Chièvres. Le 7 août Pierre Tonet aux commandes du Hunter F4 ID 118 (et non d’un Meteor comme souvent rapporté) rencontre des difficultés et est contraint de s’éjecter en piqué à grande vitesse. Il est grièvement blessé. La patrouille privée d’un de ses ailiers doit déclarer forfait pour Cannes.

Le team à Gosselies sur Hunter F4. A noter que la cocotte n’était jamais peinte du côté droit, uniquement à gauche sur la « flamme » de couleur rouge pour la 7ème (7J) et bleue pour la 8ème (OV). (SABCA)
Entrainements à 4 Hunter F4 aux ailes déjà mises au standard F6 avec dents de scie. (Archive R. Girardin via AMB)

L’Exposition Universelle et le meeting des Nations de 1958
L’année 1958 arrive et avec elle l’Exposition Universelle de Bruxelles qui mettra la capitale au centre du monde. A l’automne l’Etat-Major a annoncé pour l’été 58 un meeting aérien qui devrait rester dans les annales par son ampleur. Afin de reconstituer le team, il est fait appel à Yvan Deprins qui est à la 350 de Beauvechain et qui rejoint la 8ème comme « Ops ». Il a fait partie du team acro non officiel mené par le Cdt avi. Antoine (Tony) de Maere d’Aertrijcke, C.O de la 350, qui a remplacé au pied levé le team de Chièvres au meeting de Cannes. L’entrainement peut reprendre. Au printemps, contre toute attente, Pierre Tonet sort de l’hôpital. Déclaré apte à piloter il regagne Chièvres afin de reprendre sa place, ce qui ne manque pas de poser un problème. Ce dilemme est rapidement résolu car à force de persuasion Robert Bladt obtient de ses supérieurs de pouvoir passer à cinq avions plutôt que de choisir un équipier au détriment de l’autre.

Le Lt. Pierre Tonet appartenait à la 8ème escadrille. A noter le casque décoré dès les premiers meetings qui s’inspire de celui des « Acrobobs ». (Amilpress – Archive RV)

Le 27, 28 et 29 juin 1958 à lieu à Bierset le « Meeting des Nations », un des plus grands que la Belgique ait organisé. Si l’exposition statique est copieuse avec de nombreux avions étrangers où l’US Navy et l’USAFE sont présents en force, le show aérien de trois heures et demie est superbe avec de nombreuses démonstrations individuelles, de passages d’escadrilles belges et de l’OTAN. Outre le F-104 Starfighter dont c’est la première apparition en Belgique, c’est surtout la présence des nombreuses patrouilles étrangères qui retient l’attention. En plus des réputées « Patrouille de France » (Mystère 4), « Skyblazers » (F-100C Super Sabre), « Black Arrows » du 111 sqn Treble One britannique (Hawker Hunter F6) et « Diavoli Rossi » (F-84F Diables Rouges en Italien !), le public découvre les « Aces Four » grecs, les « Os Dragoes » portugais et une patrouille turque dont le nom n’est pas connu (probablement les « Milli » (National) d’après des sources turques) toutes trois sur F-84G Thunderjet. Avec un tel panel tant au sol qu’en vol le meeting est un grand succès.

La patrouille « Os Dragoes » de la base d ’ OTA sur F-84G Thunderjet effectue au meeting de Bierset une de leur dernière démonstration à l’étranger avec un nouveau schéma de peinture. Ils seront dissous deux mois plus tard avec l’arrivée des F-86 Sabre au Portugal. (SID – Archive RV)

La patrouille belge sur Hunter F4 (7J-R  ID -114,-T  ID-104, -Z  ID-101, -U  ID-136, -N  ID-122) y fait une présentation remarquée en fin d’après-midi du 29 devant le Roi et plus de cent mille personnes. Un détail n’a pas échappé aux membres de la patrouille belge et du maj. avi. Victor Houart, chef du service documentation et information de la F. Aé (Amilpress): toutes les formations étrangères arborent des schémas de peinture hauts en couleurs alors que la patrouille belge vole sur des appareils camouflés de la 7ème escadrille, sans fumigènes, ce qui ne les met pas vraiment en valeur.

La patrouille de 5 Hunter F4 avec ailes non-modifiées de la 7ème remonte la para- piste de Bierset lors du meeting des Nations. A l’arrière-plan un F-84F Thunderstreak des Diabolo Rossi italiens sous bâche et un Breguet Alizé, un F-100C des Skyblazers et des Hunter anglais. (SID – Archive RV)

Team à 9 et ailes tricolores
Début septembre 1958 a lieu le 19ème display de la S.B.A.C (Society of British Aircraft Constructors) à Farnborough (UK). Les « Black Arrows »  et le  111ème Sqn de la RAF dont ils sont issus créent la surprise en exécutant un looping à 22 et des tonneaux à 16 avions. Le team belge a été fortement impressionné à Bierset et cette nouvelle performance des anglais leur donne de l’ambition. Comme il est prévu d’organiser le 10 octobre un meeting à Chièvres pour les fastes du 7ème Wing, il est décidé de faire un looping en formation losange à 9 avions. Au noyau des 5 pilotes initiaux sont venus s’ajouter à cette occasion les Lt. avi. Hadelin d ’Hoop et Jack Lesoil, le Slt avi. François Jacobs et le sergent- pilote Georges Goussens (8ème esc.). Le show débute par une boucle et des formations à 9 Hunter puis deux groupes se séparent, le noyau de quatre continuant le show.

Les 22 Hunter F6 des Black Arrows du 111 squadron « Treble One ». (SBAC -Archive RV)

De plus une décoration spéciale pour leurs avions serait une bonne chose mais le Lt. col .avi. De Bueger « baseco » n’est pas ouvert à cette idée. Malgré cela quelques jours avant le meeting Bobby Bladt fait peindre l’intrados de quatre avions aux couleurs belges, « à la patrouille de France » comme il le rapportera lors de notre rencontre de 1982. Cela lui vaudra le lendemain du show un sérieux « savon » du chef de corps qui d’après Bobby Bladt n’aurait pas du tout apprécié cette initiative. Il se pourrait aussi que les 9 avions aient déjà été peints pour cette occasion avec des ailes tricolores mais ce n’est pas confirmé. Il s’agit probablement de F6 sur lesquels vole déjà la 8ème et qui commencent à équiper la 7ème. Le 16 mars 1959 le Lt. col. avi. Jules Kaisin reprend le commandement de la base de Chièvres. Son prédécesseur le Col. avi. De Bueger devient « Directeur supérieur des opérations » de la F. Aé ». Il décèdera à Florennes le 12 octobre 1961 dans le crash du F-84F FU-19 suite à une panne de moteur à l’atterrissage.

Le team de 1959. De gauche à droite et de haut en bas: F. Jacobs, M. Thijs, R. Girardin. Debart, F. Bodart, P. Tonet, R. Bladt Y. Deprins, A. Gaye. A noter l’insigne des « cocottes » sur les combinaisons de vol. (Amilpress – Archive RV)

Diables rouges
Dès le début 1959, l’entrainement reprend et en plus du noyau de base des cinq pilotes initiaux la composition du team se stabilise à neuf pilotes avec le 1er Sgt. pilote  Antoine Gaye qui a déjà fait partie du peloton de R. Van Keymeulen et les Sgt. pilote René Girardin et Michel Debart. Entamée avec un meeting à Chaumont (F) le 7 mai, la saison se poursuit avec des meetings nationaux et en RFA. Les meetings de Wiesbaden le 10 mai, Sembach le 16 mai et Nörvenich le 20 juin (souvent devant une affluence importante de membres des Forces belges en Allemagne) ont encore accru la médiatisation du team au point que le major avi. Houart insiste auprès de Robert Bladt pour trouver un nom à la patrouille. Robert Bladt suggère de baptiser le team « Diables Rouges » en référence à l’équipe nationale de football qui jouit d’une certaine notoriété et met en exergue le professionnalisme et l’esprit d’équipe. Le nom choisi ne fait pas tout de suite l’unanimité auprès des membres du team. Sans compter que le nom est déjà utilisé par la patrouille italienne, certains n’aiment pas se confondre avec des footballeurs mais le nom est néanmoins retenu. Via le responsable de l’équipe militaire belge de football, le team reçoit les blasons tricolores qui orneront leurs combinaisons de vol. Le 5 juillet 1959 a lieu le meeting de Gosselies qui sera le premier sous la nouvelle appellation mais aussi celui d’une figure exceptionnelle toujours inégalée à ce jour.

Après la prestation des Black Arrow à Farnborough et le succès aux Fastes du 7ème Wing en octobre l’année précédente, l’idée de rivaliser avec les anglais est plus que jamais présente. En plus du show à neuf avions, la formation s’étoffe avec 4 ensuite 7 avions supplémentaires car l’équipe songe à exécuter une looping à 16 avions et sans attendre s’entraine pour y parvenir. Viennent ainsi en renfort le major avi. Robert Corbeel (C.O de la 7ème escadrille) et des pilotes essentiellement de la 7ème escadrille, le Lt. avi. Claude Buisseret, le Lt. avi Jacques Dewaelheyns (pilote de réserve), le Lt. avi. Pierre (Piet) Goethals, le Lt.avi. Mathieu Thijs, l’adj. pilote André. Delvaux, l’adj. pilote Philippe « Flup » Vereecke ainsi que le Sgt. pilote Palmer Devlieger de la 8ème esc. (futur « Slivers » sur F-104G). La 8ème est composée de jeunes brevetés car elle s’occupe de la conversion opérationnelle (rôle initialement dévolu à la 9ème escadrille dissoute en mars 1957), ce qui pourrait expliquer que l’on fait moins appel à ses pilotes. L’entrainement est progressif, au début par petits groupes pour entrainer les pilotes qui ne sont pas encore très familiers à l’acro en formation serrée. La disponibilité des avions pose aussi des problèmes et les boucles sont exécutées une fois dans un sens, une autre fois dans l’autre par pelotons de plus en plus importants.

Ailes tricolores du team à 9 sur Hunter prélevés en escadrille au printemps 1959. (Archive R. Girardin via AMB)

Loop à 16
Le 12 décembre 1958 a lieu un premier essai de looping à 16 avions. La figure est difficile surtout pour les pilotes au centre et à l’arrière du losange qui doivent avoir une confiance totale dans le leader et équipiers et disposer de plus de puissance pour tenir la position. Pour cela les Hunter à l’avant sont des F4, ceux à l’arrière des F6 équipés d’un moteur Avon 203 plus puissant qui délivre un tiers de puissance en plus que les Avon 113 ou 120 qui équipent les F4. La boucle ayant été entamée trop lentement, la formation se prend une « gamelle » et éclate au sommet par perte de vitesse, heureusement sans accrochage. L’équipe s’en sort avec cependant une grande frayeur. Bobby Bladt est en passe de renoncer mais le virus est tenace. Nous ignorons combien de tentatives auront été nécessaires pour arriver au meeting de Gosselies du 5 juillet 1959 au cours duquel les Diables Rouges réussiront la figure à 16 avions. Quelques pilotes ont également changé au cours des entrainement et ne se retrouvent plus dans la formation le 5 juillet. Ainsi Bob Corbeel a quitté la 7ème mi-février  1959 et a été remplacé par le Cpt .avi. Ingénieur Etienne Barthelemy que nous retrouvons ce jour avec le Lt.avi. Baudouin Carpentier de Changy (qui sera assassiné au Congo le 17 juillet 1960), deux pilotes de la 8ème les Lt. René Blanchart et Amédé Degraeve ainsi que deux pilotes non identifiés à ce jour.

Le 5 juillet 1959 sous la présidence de Mr. Victor Boin, président de l’Aero Club Royal de Belgique a lieu le « Grand Critérium International » organisé par l’ACRB avec le soutien du journal « Les Sports ». Les bénéfices attendus de cette journée sont destinés au Fonds National d’Aide aux œuvres de l’Aviation belge. Le matin a lieu le départ du « Challenge Victor Boin » de vol à voile suivi de démonstrations de chute libre en parachute, d’un grand concours d’aéromodélisme et un Criterium international d’acrobaties. L’après-midi a lieu un meeting aérien avec le concours de la F. Aé, de la RCAF et de la RAF et des Skyblazers américains. A 17h15 seize Hawker Hunter décollent et exécutent une boucle en formation losange avant de se séparer en deux groupes de 7 et 9 avions, ces derniers exécutant encore deux loopings. In fine le noyau de base de quatre avions se détache, enchaine les figures acrobatiques et clôture le show en atterrissant en formation.

Formation des 16 Hunter F4 et F6 le 5 juillet 1959 à Gosselies. On distingue clairement 11 avions aux ailes peintes aux couleurs belges. (Archive Jacques Lauwers via AMB)

Jeu de couleurs
Des documents photographiques il apparait que 11 avions, un mix de F4 et de F6, arborent des ailes tricolores mais nous n’avons pu les identifier tous. Nous pouvons supposer qu’il s’agit des 9 avions du team et deux « réserves », le reste étant des avions standards. Par photos et carnets de vol nous avons pu identifier les avions suivants essentiellement les quatre du noyau de base et un ailier : 4 F4 de la 7ème et un F6 de la 8ème: ce sont les 7J-W (ID-145), 7J-A (ID-131), 7J-K (ID-127  ?), 7J-T (ID-104) et OV-A (IF-46). Les F4 de la série ID-101 à ID-148 ont fait l’objet d’une modification des ailes au standard F6 par ajout au bord d’attaque d’une extension en dent de scie destinée à éviter le cabrage et décrochage en virage serré à grande vitesse. Cette modification rend très difficile leur identification par rapport aux F6 sauf à pouvoir lire le numéro de l’avion (ID=F4 ; IF=F6).

Le noyau de base du team le 5 juillet 1959. Il s’agit de 4 F4 de la 7ème escadrille. (Archive Jacques Lauwers via AMB)

Un autre détail: les quatre avions du noyau de base semblent avoir été équipés d’un système de fumigène comme on peut le voir sur la photo des 4 avions à l’atterrissage qui montrent un sabot de queue qui ne ressemble pas à ce que l’on peut voir habituellement. Pourtant nous n’avons pu trouver aucun témoignage de l’utilisation de fumigènes lors du meeting de Gosselies. Bobby Bladt me dira que le système de fumigène fut étudié dès 1959. Dans une correspondance du 10 août 1982, le Général d’aviation e.r Dalleur, Lt. col responsable du groupe de maintenance de Chièvres en 1959 et ensuite patron des services techniques de la F.Aé , signale que les Hunter ont été équipés de deux systèmes: d’abord des pots fumigènes pour fumée colorée orange pendant 30 secondes attachés sur chaque avion à l’arrière fuselage sur un adaptateur à l’emplacement du sabot en caoutchouc, la mise à feu se faisant électriquement et un autre système, sur les avions peints en rouge, se faisant par injection dans le turboréacteur d’huile stockée dans le « gunpack » modifié dégageant une fumée blanche. Ce système, étudié par le Lt. col. avi. Kaisin lors d’une visite en Angleterre, était inspiré de ce que faisaient les Black Arrows.

Atterrissage en formation des Diables Rouges au meeting de Gosselies le 5 juillet 1959. Il s’agit de 3 F4 de la 7eme et 1 F6 de la 8ème aux ailes peintes (voir les trappes de train). (Archive André van Haute)

Dissolution et réactivation sur fond de polémique
Deux présentations à Florennes le 28 août et à Beauvechain le 10 septembre clôturent cette exceptionnelle saison qui a confirmé la patrouille comme une des meilleures. Sa dissolution annoncée pour le 1er janvier 1960 par la Direction des Opérations est donc accueillie avec stupeur et incompréhension. C’est une profonde déception pour les pilotes, le team de support, la direction de l’information de la F. Aé qui se sont investis sans compter. La presse aéronautique aussi montre son étonnement et sa désapprobation face à cette décision qui réduit à néant une notoriété durement acquise et un outil de promotion efficace. La presse spécialisée redoute également que par manque de réciprocité les autres pays ne délèguent plus leurs patrouilles lors des meetings belges. Lors de notre entretien de 1982, Bobby Bladt critiquera le manque d’appui de son ancien supérieur le Col.avi. De Bueger. Même si à l’époque certains pouvaient penser que l’Etat-major avait peut-être eu peur que le team veuille encore grandir, il est vrai que La F. Aé est entrée dans une difficile période où les économies sont à l’ordre du jour et la « réduction de voilure » a débuté. La politique du « tout missiles » prôné par certains et le programme d’achat onéreux de nouveaux intercepteurs F-104 suscite une polémique au point que certains militaires et politiques prônent la création d’une force de défense unique à la mesure des possibilités d’un petit pays remettant déjà en cause l’autonomie même de la F. Aé acquise en 1946. Les coups de boutoir permanents amèneront le Gen.avi. Henry, chef d’Etat-Major depuis 1960, à présenter sa démission trois années plus tard.

Mais c’est sans compter sur le support inconditionnel du Lt. col. Avi. Kaisin qui jouera de sa notoriété, de ses contacts et influence pour amener le Chef d’Etat-major à revenir sur la décision. Début avril la presse annonce la réactivation du team. Concomitamment à une réduction de la patrouille à 4 appareils, l’accord est toutefois donné de peindre 6 avions (4 + 2 réserves) dans un schéma de couleur « rouge signal » flamboyant reflétant son nom (référence officielle: rouge signal 234C/197). Ce sont les IF-62, -80,-93, -137,-141,-144.

L’entrainement a repris au printemps 1960. Un Thunderflash de la 42ème escadrille de reconnaissance prend une série de photos pour le service de presse. Ce sont deux F6 de la 7ème et 2 F6 de la 8ème aux ailes tricolores comme le confirmera R. Bladt. (42sqn via Daniel Brackx)

Enfin rouges
L’entrainement a rapidement repris comme en témoigne une série de photos de quatre Hunter F6 destinée au magazine « Nos forces » prise par un RF-84F de la 42ème escadrille de reconnaissance au printemps 1960. Ces photos permettent d’identifier quatre F6 ayant également les ailes tricolores: le  OV-G (IF-69), le OV-O (IF-131) au nez bleu de la 8ème escadrille et les IF-80 et IF-93 de la 7ème escadrille reconnaissable à leur nez de couleur rouge.

Pierre Tonet a quitté Chièvres pour Brustem en fin d’année 1959 et il a été remplacé par le Lt. Avi. Mathieu Thijs. Le meeting de Chièvres du 30 avril 1960 à l’occasion des fastes du 7ème Wing sera l’occasion de montrer la nouvelle patrouille et ses Hunter rouges équipés du système de fumigène par injection d’huile dans la tuyère. Le 28 avril, au cours d’une répétition en effectuant un looping en file, le Hunter IF-95 du Lt.avi. Thijs heurte l’avion IF-118 du Cpt.avi. Deprins qui se trouve devant lui. Celui-ci parvient à se poser mais le Lt Thijs part en vrille à plat. Le pilote s’éjecte trop bas pour que son parachute puisse fonctionner.

6 Hunter F6 (4 plus 2 réserves) sont peints en rouge en avril 1960 et équipés de fumigène par injection d’huile dans la tuyère. Plusieurs Hunter (une douzaine) seront utilisés avec quelques variantes de schéma jusqu’à la dissolution du team fin 1963. Cette photo a été prise au meeting de Gosselies le 16 septembre 1962. (Photo R. Sturbelle)

Malgré ce drame, le show est maintenu pour le 30 et il a lieu devant le Roi et un public conquis. En tête d’une formation de 16 avions, les quatre Hunter rouges effectuent des passages (mais plus de loop) avant de se séparer et entamer leur démonstration. Lors de celle-ci, en hommage à leur collègue décédé, le Hunter de l’adj.avi. Michel Debart qui a remplacé au pied levé le Lt.avi. Thijs ne lâchera aucune trainée de fumée afin de marquer la place du pilote disparu. Le reste de la saison sera chargé avec 7 représentations en Allemagne, 5 représentations en Belgique, 2 en France et 1 au Grand-Duché du Luxembourg.

L’équipe du maj.avi. V. Houart du service presse de la F.Aé. Réalise un reportage pour la revue « Nos forces » quelques jours avant le meeting du 30 avril 1960. De gauche à droite Bodart, Bladt, Deprins et Thijs. C’est une des dernières photos du Lt. Avi. Thijs qui se tuera le 28 avril suite à une collision avec Yvan Deprins au cours d’un entrainement. (Nos forces)
Le 30 avril 1960, le team mènera une formation de 16 avions avant d’entamer leur show proprement dit. A noter qu’à l’exception des 4 Diables Rouges, il n’y a plus d’ailes tricolores sur les appareils et que plusieurs avions sont équipés de réservoirs auxiliaires. (Archive Jean-Pierre Decock)

La fin de l’ère « Bladt »
Le 26 septembre Robert Bladt quitte Chièvres pour le Service des Essais en Vol. Le même mois le major avi. Victor Houart acteur important de la promotion du team auprès de la presse quitte également ses fonctions pour la 2ème ATAF en RFA Il est remplacé par le Maj.avi. Rens revenant de Kamina. L’ère « Bladt » est terminée mais l’avenir du team est assuré.

Le Cpt. avi. Yvan Deprins le plus ancien ailier et ami, reprend le flambeau. Il mènera avec brio la patrouille des 4 Hunter rouges pendant trois années au cours desquelles elle aura participé à plus de 30 meetings. Les adieux au public ont eu lieu lors du meeting de Chièvres le 23 juin 1963. A 11 ans, j’ai eu le bonheur d’y assister. La toute dernière représentation sur leurs beaux Hunter rouges a lieu le vendredi 4 octobre 1963 lors de la cérémonie du retrait officiel des Hawker Hunter de la F.Aé. Il faudra attendre 1965 pour que les Diables rouges renaissent sur Fouga Magister sous le lead du Cdt.avi. Jacques « Red » Dewaelheyns et avec l’appui et conseils avisés de Bladt, Deprins et Kaisin mais cela est une autre histoire ….

Le dernier quatuor des Diables sur Hunter en septembre 1963: M. Debart (ailier droit), Y. Deprins (leader), A. d’Hoop (charognard), R. Girardin (ailier gauche). Il manque Jacobs, solo. Notez le badge des Diables Rouges sur la poche gauche qui n’est apparu qu’en 1960. (Amilpress – Archive RV)

Robert Verhegghen

Sources, photos et remerciements: Amilpress, L. Basara, S. Bonfond, D. Brackx (Belgian Wings), JP. Decock, R. Girardin et J. Lauwers via V. Pécriaux (Ailes Militaires Belges), OTAN via J. Soares, SABCA via Gen. e.r. Dalleur, SID, R. Sturbelle, Gill Van Dessel, André Van Haute, Olivier « pappy » Van Gorp, coll. R. Verhegghen. Interview de Robert Bladt 20/07/1982 ; interview de Robert Corbeel 19/02/1983 ; entretiens avec Raymond Van Keymeulen 1982/1983, entretiens avec MM. Antoine Gaye et Claude Buisseret 11/2017, correspondance du 10.08.1982 du Gen e.r Dalleur.

Bibliographie/sites: « Les Diables Rouges »  Cap.avi. Bill Scruel  ed. A. Grisard 1979 – « Les cocottes des origines à mai 1940 » ? SEPG – « Le Hawker Hunter en service à la Force Aérienne »  André Van Haute ed. De Krijger 1996 – « 60 jaar vliegen in Weelde » A&D Janssens Colofon 2014 – « La reconstruction de la Force Aérienne belge » Paul Debacker ed. de l’Officine 2004 – IPMS Kit magasine 13,49,50,51,59 – Revue des Vieilles Tiges 2/2016 et diverses revues « Air revue », Aviation et astronautique », « Nos Forces », « la Conquête de l’Air », www.ailes-militaires-belges.be http://belmilac.wikifoundry.comwww.belgian-wings.bewww.sergebonfond.be

Bob Verhegghen

Bob Verhegghen

Né au Congo en janvier 1952. Passionné d’avions militaires et de maquettes dès mon plus jeune âge. Auteur de nombreux articles historiques et ou de maquettisme sur la force Aérienne dans diverses revues et dans la revue KIT de l’IPMS Belgium. J’ai un intérêt particulier pour les planeurs anciens, la Force Aérienne d’après-guerre et les T-6, (R) F-84F, et Mirage. J’ai le soucis de l’exactitude et du détail pour mes maquettes. Pilote de planeur depuis 1977, instructeur avec près de 900 heures de vol je suis l’heureux copropriétaire de l’ASK-13 ex PL-66 des Cadets de l’Air (aujourd’hui D-3438) basé à Temploux.

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