Nos instructeurs…on ne leur dit jamais assez merci

Pour l’occasion, André a revêtu sa combinaison originale qu’il a conservé depuis l’ E.P.A et dans laquelle il rentre sans problèmes! (Photo Robert Verhegghen)

Antwerp International Airport, le 17 mai 2022. Le T-6G Texan N4109C / H-210 piloté par Danny Cabooter, s’aligne sur la piste pour un vol un peu spécial. A son bord, mon ami André Darquennes, qui sous son casque de cuir et ses goggles old look, arbore son habituel sourire espiègle et savoure sans aucun doute ses retrouvailles avec un avion qu’il n’ a plus volé depuis 67 ans.

Un sourire de bonheur au retour d’un beau vol. (Photo Jeff Cools)

Qui est André?

Connu dans mon club de vol à voile comme ADA ou DD, André est né le 15 mars 1935. Attiré très jeune par l’aviation, il entame en 1955, une carrière de pilote à la Force Aérienne. Au cours de sa formation au sein de la 131ème promotion, il rejoint l’Ecole de Pilotage Avancé de Kamina et fait son premier solo sur Harvard le 23 novembre 1955. Bien que classé 13ème de sa promotion à l’EPA (qui compte 75 élèves dont 39 seront rayés !), son parcours militaire se terminera sur Meteor à l’ Ecole de Chasse de Coxyde. Il retourne aussitôt au Congo où il exerce des fonctions importantes dans la Compagnie des Chemins de Fer Katangais et vole à l’aéro-club de Kolwezi. De retour en Belgique après l’indépendance, il entre chez Solvay et il y reste jusqu’à sa pension. Toujours « acro » à l’aviation, il rejoint dans les années soixante l’ Aéro-Club de la Meuse (ACRM devenu en 1999 CAP Vol à Voile à la suite de sa fusion avec le Royal Club National d’ Aviation/ RCNA) à l’aérodrome de Suarlée-Temploux où il vole toujours. Il compte près de 2.400 h de vol, planeur, motoplaneur (TMG) et avion de tourisme sans compter plus de 200 heures à la F.Aé sur SV-4B, T-6 Harvard et Meteor T.7 et Mk.8.

La photo traditionnelle sur SV-4B à la sortie de l’E.P.E de Gossoncourt en 1955. (Photo André Darquennes)
1er solo sur leT-6 H-207 le 23 novembre 1955. (Photo André Darquennes)

Le doyen des instructeurs « planeur » encore en activité en Wallonie

Fin 2021, en rédigeant le rapport d’activités annuel de la DTO (Declared Training Organisation) n° 132 de la FCFVV ( Fédération des Clubs Francophones de Vol à Voile), je me suis rendu compte qu’André, non seulement allait sur ses 87 printemps mais aussi qu’il est l’instructeur «vol à voile» le plus âgé toujours en activité au sein de la FCFVV et probablement de Belgique. Son dévouement et professionnalisme en font un instructeur très apprécié des plus jeunes comme des plus anciens. Le temps file et comme on le dit souvent, n’attendez pas que vos amis soient partis pour leur exprimer votre amitié ou reconnaissance. Mais comment?

Devant le bâtiment de l’E.P.A à Kamina lors d’un mémorable voyage « souvenir » en septembre 2015. (Photo Robert Verhegghen)

Le Stampe Museum de Deurne.

Je connais André depuis plus de quarante ans et outre l’aviation en général il y a un lien occulte qui nous unis: le T-6, avion pour lequel je nourris une passion depuis mes 5 ans (www.hangarflying.eu/fr/2021/01/les-t-6-harvard-decores-de-kamina/) Quoi donc de mieux que de le fêter en lui offrant un vol en T-6? Je sais que cela lui fera un immense plaisir. Présenté aux amis du club, le projet est reçu avec enthousiasme.

Le Stampe Museum à Deurne abrite une superbe collection de biplans en état de vol. (Photo Robert Verhegghen)

Le budget ayant été réuni auprès d’une quarantaine de membres et amis, contact est pris avec Danny Cabooter et  deux dates sont fixées pour pallier aux éventuels aléas de la météo. Il reste à organiser le rendez-vous sans que notre ami ne se doute de quoi que ce soit. Le vol aura lieu à Deurne sous le prétexte d’une visite du club au Stampe Museum. Fondé en 1995 par Karel Bos et Danny Cabooter, ce musée rend hommage aux pionniers de l’ aviation Jean Stampe et Maurice Vertongen qui fondèrent leur école de pilotage et leur usine d’avions à Anvers en 1923. Avec leur contemporain Jan Olieslagers, le ‘Diable d’ Anvers’, ils ont été les initiateurs et les moteurs du développement de l’aéroport d’ Anvers (www.stampe.be/fr).

La pose devant le SV-4B n° 28 sur lequel André a effectué plusieurs vols à l’E.P.E en 1955. (Photo Robert Verhegghen)

La surprise

Nous sommes une quinzaine de personnes à rejoindre l’aérodrome d’Anvers en début d’après-midi du 10 mai pour la visite du beau musée Stampe. André ne se doute toujours de rien. Danny et Fernand Hollanders qui sera notre guide sont dans la confidence de l’alibi au cours duquel nous allons annoncer à André que le T-6 H-210 l’attend pour un vol offert à l’occasion de ses 87 ans et en remerciement de ses longues années d’instuction. La surprise pour André est totale car le secret a été bien gardé. Le ciel est bleu mais Danny nous informe que le fort vent de travers, avec des rafales de plus de 20 nœuds ne permet pas que le vol se fasse en sécurité ce jour-là. Pour le très expérimenté pilote, « Il y a deux sortes de pilotes: ceux qui sont déjà sortis de piste et les autres ». Il ne veut pas tenter le diable, c’est évident, d’autant plus que le T6 peut s’y montrer récalcitrant! Le vol est donc reporté d’une semaine à la date alternative convenue le 17 mai en présence à nouveau d’une quinzaine d’amis qui ont pu se libérer. André, remis de la surprise et de son émotion, mettra la semaine à contribution pour relire le manuel de vol du T-6 pour savourer au maximum du vol de ¾ heures qui l’attend dans le T-6 H 210 du Stampe Museum

Danny Cabooter aide André à s’installer. (Photo Robert Verhegghen)
Prêt à partir pour un vol de ¾ heures. (Photo Robert Verhegghen)
C’est du ciel qu’on se rend compte de la forte industrialisation de la région anversoise et de l’extension des installations portuaires au fil des décennies. (Photo Robert Verhegghen)

Le H-210

Le Harvard opéré par le Stampe Museum est en fait l’ancien T6 G n° 7727 de la South African Air Force. Immatriculé N4109C, il a été repeint aux couleurs belges pour représenter le Harvard H-210 de l’ E.P.A de Kamina.

Une histoire se cache derrière cette décoration. C’est à l’occasion du Stampe Fly In de 2011 qu’a été présenté le Harvard dans une nouvelle livrée conforme à celle que portait l’appareil avec lequel disparut tragiquement le Lieutenant Baudouin Carpentier de Changy lors d’une mission d’intimidation des mutins de la Force Publique le 17 juillet 1960 dans la région de Thysville (www.hangarflying.eu/2011/06/baudouin-de-changy-et-le-h210-lepopee/). Notre visite à Deurne révèle une autre particularité et une surprise par rapport à Baudouin de Changy. Il est en effet, ce que la plupart d ‘entre nous ignorions, l’oncle maternel de notre ami vélivole Rodolphe de Montblanc, présent les deux jours. Il connaissait l’histoire de son oncle mais pas qu’un avion perpétue son souvenir.

Le pylône anti-crash ne semble pas trop gêner la vue. (Photo André Darquennes)
Retour au terrain. (Photo Pierre Pochet)
Deux grands pilotes qui s’apprécient. (Photo Robert Verhegghen)

Mais revenons au vol de 45 minutes de ce mardi 17 mai. Danny a planifié un circuit régional EBAW-EBZR-EBBT-EBHN et retour au terrain après le survol du port d’Anvers. Comme le souligne André: « Les conditions météo étaient parfaites, magnifique visibilité. Question sensations en vol, l’émotion mise à part, on retrouve rapidement un environnement connu. Danny assure une gestion moteur et hélice propre à cet appareil plus smooth que celle des militaires à BAKA, base militaire. Les aspects consommation de fuel et nuisances sonores dues à l’hélice en sont les principales raisons, cela se comprend aisément. » Comme quoi ADA a des souvenirs vivaces! Danny se dira impressionné par le pilotage d’André auquel il a laissé les commandes durant la plus grande partie du vol.

Pour l’occasion, André a revêtu sa combinaison originale qu’il a conservé depuis l’ E.P.A et dans laquelle il rentre sans problèmes! (Photo Robert Verhegghen)

Les deux journées d’amitié se terminent au soleil sur la terrasse du « Bel Air », le restaurant de l’aérodrome qui a réouvert quelques jours auparavant après deux années de fermeture Covid.

Les amis de CAP Vol à voile. (Photo Robert Verhegghen)
Retrouvailles dans les années quatre-vingt avec Joseph Carpentier qui a été le moniteur d’André lors du stage planeur de la 131ème à Temploux en octobre 1954. A gauche, Jean-Leon Fuchs, de la 129ème promotion et du Flight Universitaire en 1954/1955. (Photo Robert Verhegghen)

Un hommage à tous les instructeurs

Du début des années septante et durant plus de 10 ans, André a édité le magazine « CONTACT » de l’ ACRM. J’ai retrouvé dans mes archives celui de juillet 1973 ou il consacre son éditorial aux instructeurs et le lien qui unit ceux-ci à leurs élèves. Au risque de froisser la modestie bien réelle d’ André, je ne résiste pas à citer le commentaire de Monsieur Francis Clar, ancien patron de la formation chez Air France et actuel responsable de l’ATO (Approved Training Organisation) de la Fédération Française de Vol en Planeur (FFVP) à la lecture du texte d’André ( qu’une main anonyme ou des vents favorables a déposé dans son e-mail ): « André Darquennes est un Monsieur. Il fait partie de ces personnes qui ont œuvré au long de sa vie pour le vol à voile. Je suppose que beaucoup de jeunes lui doivent leur carrière de pilote. Son éditorial est tout à fait au goût du jour et transposable dans un magazine actuel. Chapeau ! »

Une belle devise. (Photo Robert Verhegghen)

Au travers de cet évènement où notre doyen a été fêté, c’est aussi toute la communauté des instructeurs, en particulier les bénévoles vélivolistes, que nous souhaitons remercier et mettre à l’honneur en reprenant l’éditorial vieux de 49 ans, écrit par André in « tempore non suspecto » car il n’était pas encore instructeur à l’époque:

« L’expérience nous montre qu’entre 15-16 ans et 70 ans, chacun peut apprendre à piloter sous certaines réserves. L’enseignement du pilotage, tant théorique que pratique est confié aux moniteurs ou instructeurs.

J’ai été plus d’une fois frappé par la fierté et le respect avec lesquels des pilotes confirmés citent le nom de leur premier moniteur, celui qui les a guidés lors de leur premier contact avec l’aviation.

Fréquemment, leurs propos expriment plus qu’un souvenir ayant marqué un point de départ. On y sent de la reconnaissance et même de l’affection. Pourquoi? Parce que le pilote ayant accumulé les heures de vol mesure davantage le rôle parfois ingrat, effacé, mais combien fondamental et efficace que joue l’instructeur dans une mission qui n’est pas toujours de tout repos. Risque … parfois, responsabilité toujours.

Pour celui qui prend à cœur sa mission, et c’est le cas le plus général, enseigner ne consiste pas seulement à inculquer quelques principes généraux, mais aussi et surtout à donner à l’élève de bonnes habitudes, à conditionner ses réflexes et à lui faire garder la tête froide pour assurer sa sécurité en toutes circonstances.

Le moniteur doit être psychologue, savoir détecter le caractère de son élève, agir en fonction de sa personnalité, le mettre en garde contre lui-même, freiner parfois son enthousiasme ou, au contraire, lui donner confiance.

Le moniteur, par son amour passionné de l’aviation, transmet son expérience avec générosité, dévouement, en exploitant ses connaissances techniques et en ayant une action humaine et psychologique. Pour remplir ce rôle, il faut le considérer un peu comme un sacerdoce. Qui mieux qu’un moniteur peut nous donner ce goût si marqué du pilotage?

Ce sont là, me semble-t-il, quelques vérités auxquelles nous n’avons pas très souvent l’occasion de penser ou qui ne nous viennent pas directement à l’esprit.

Cet hommage à nos instructeurs avait ici sa place. Il traduit modestement le grand merci que méritent ceux qui nous aident si efficacement à ouvrir nos ailes puis à nous donner confiance et à faire de nous des pilotes enthousiastes. »

Remerciements: aux amis d’André qui ont permis ce vol, à Danny Cabooter, Fernand Hollanders et Jeff Cools du Stampe Museum

Bob Verhegghen

Photos: Jeff Cools, André Darquennes, Pierre Pochet, Bob Verhegghen

Bob Verhegghen

Bob Verhegghen

Né au Congo en janvier 1952. Passionné d’avions militaires et de maquettes dès mon plus jeune âge. Auteur de nombreux articles historiques et ou de maquettisme sur la force Aérienne dans diverses revues et dans la revue KIT de l’IPMS Belgium. J’ai un intérêt particulier pour les planeurs anciens, la Force Aérienne d’après-guerre et les T-6, (R) F-84F, et Mirage. J’ai le soucis de l’exactitude et du détail pour mes maquettes. Pilote de planeur depuis 1977, instructeur avec près de 900 heures de vol je suis l’heureux copropriétaire de l’ASK-13 ex PL-66 des Cadets de l’Air (aujourd’hui D-3438) basé à Temploux.

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