Hardi petit Harvard ex-belge

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Bruxelles, le 10 janvier 2015. L’idée me trottait dans la tête depuis quelque temps et j’ai donc mis à profit la période hivernale – tournant au ralenti en ce qui concerne les événements aéronautiques – pour décrire la carrière d’un ex-Harvard (ou T-6 Texan) de la Force Aérienne au destin et à la longévité hors du commun…

Une formation de Harvard de la 20 SFTS de Cranborne en Rhodésie du Sud (Zimbabwé) en janvier 1943. Ces machines faisaient partie des 1.259 appareils fournis sous contrat « lend lease » (prêt-bail) à la RAF dont les immatriculations commençaient avec EX100. Ils furent rejoints peu après par l’EX959 en fin 1943, lequel devint H9 en Belgique en 1947. (Archives JP Decock)

Début de carrière à la RAF
Cet Harvard MK III (nom attribué à ce type d’avion par la Royal Air Force) fut construit en tant que T-6D Texan (comme le qualifiaient les Américains) en 1942 aux Etats-Unis. Le contrat concernant sa production fut établi en 1941 et l’appareil reçut le serial number 41-33931 de l’USAAF (United States Army Air Force) ainsi que le numéro de construction 88-14948 (type 88) par la firme North American Aviation. Il était l’un des 1.259 T-6/Harvard cédés à la Grande-Bretagne en vertu de la loi « prêt-bail » ou « lend lease ». Ces appareils, immatriculés EX100 à EZ799 à la RAF furent tous initialement mis en service opérationnel en Afrique du Sud et en Rhodésie. Aussitôt sorti d’usine et essayé il fut démonté et mis en caisse pour être expédié en Afrique du Sud afin d’être intégré à l’Empire Flying Training Scheme, c’est-à-dire le programme de formation des pilotes de l’empire britannique. Il fut débarqué dans un port sud-africain en décembre 1942 et la South African Air Force l’enregistra en tant que 7509, bien que seule l’immatriculation de la RAF fut appliquée sur l’avion, à savoir EX959 (et non EX958 comme signalé fréquemment par erreur auparavant), comme attesté par John Hamlin, le grand spécialiste du Harvard chez Air Britain. Immédiatement remis en état de vol en Afrique, il rejoignit en janvier 1943 la 20 SFTS (Service Flying Training School) formant des élèves pilotes à tour de bras sous les cieux cléments de Cranborne, près de Salisbury (aujourd’hui Harare) en Rhodésie du Sud devenue Zimbabwé en 1980.

En plein virage à droite, le Harvard MKIII de la 20 SFTS immatriculé EX968 (9 numéros plus loin que l’EX959/H9) en Rhodésie du Sud en 1945. (Archives JP Decock)

La fin de la deuxième guerre mondiale entraîna le stockage de cet Harvard au 3 Air Depot près de Cape Town en Afrique du Sud. Il y fut démonté, remis en caisse et renvoyé à la RAF, son propriétaire légitime. Il arriva en Grande-Bretagne en octobre 1946 et fut revendu au titre de surplus de guerre à la toute jeune Force Aérienne Belge en février 1947.

Enrôlé à la Force Aérienne
L’EX959 changea de cocardes et d’immatriculation et devint H9 à la Force Aérienne Belge en février 1947, celle-ci n’avait alors que quelques mois d’existence. Versé à l’école de pilotage avancé, il ne fit pas partie de l’armada de Harvard qui rejoignirent la nouvelle base de Kamina au Congo (Belge à l’époque) où fut implantée cette école de pilotage fin 1953. Il accomplit placidement tout le pan de sa carrière belge à Brustem mais connut son heure de gloire en 1955 ou en 1956 lorsqu’il fut photographié pour devenir le sujet numéro 3 de la série des cahiers Air Force commercialisés par les Papeterie de Belgique et qui firent le bonheur de plus d’un écolier féru d’aviation à une époque où les documents en couleurs n’étaient pas légion.

Le Harvard MKIII/T-6D immatriculé H9 de l’école de pilotage avancé survole le Brabant Flamand au milieu des années 50; il est muni des bandes jaunes typiques des avions d’entraînement à l’époque. C’est ce cliché qui ornait la couverture du cahier Air Force numéro 3 commercialisé par les Papeteries de Belgique en 1955 ou 1956. (Force Aérienne)

La Belgique commanda des Fouga CM170.R Magister biréacteurs pour l’entraînement avancé des pilotes en septembre 1958 pour livraison à partir de fin 1959, ce qui rendit les North American Harvard obsolètes et ceux présents sur le sol belge furent revendus dans le civil (parmi ceux basés à Kamina, certains furent armés pour la lutte anti-guérilla et virent du service au Congo et au Ruanda-Urundi jusqu’en 1962).

Plusieurs des T-6/Harvard opérés en Belgique furent acquis par Air France dès fin 1958.

Le H9 de la Force Aérienne devenu F-BJBF à Air France Service de la Formation Professionnelle taxie à Pontoise où était implantée l’école de pilotage d’Air France au début des années 60. (Archives JP Decock)

Actif Outre-Quiévrain
Air France acheta 15 Harvard ex-Force Aérienne Belge pour doter son école de pilotage basée à Pontoise Cormeilles en Vexin à l’ouest de Paris. Ces appareils étaient tous livrés en mars 1959. Parmi eux, le H9 qui fut immatriculé F-BJBF en France, servit vaillamment jusqu’en mai 1965, lorsqu’Air France déclassa ses T-6, soit pour les transférer à l’école technique de la compagnie aérienne à Vilgenis, soit pour les revendre dans le civil.

C’est ainsi que le F-BJBF ex-H9 passa aux mains d’un certain G. Urbain de Cannes et reçut une décoration Air Estérel. Cet appareil fut radié du registre français en janvier 1971 suite à sa revente à l’étranger.

Le même F-BJBF où les inscriptions Air France ont été effacées et l’emblème à l’hippocampe de la compagnie française a été remplacé par celui d’Air Estérel dans le disque sous le cockpit. (Archives JP Decock)

Séjour Outre-Manche
Le F-BJBF fut acheté par Sir WJD Roberts qui l’immatricula G-AZJD au Royaume-Uni le 30 novembre 1971. Cet avion devint la propriété de Gladaircraft le 23 août 1977 et ensuite de Meridian Drilling le 6 juillet 1984, ces deux entreprises ayant basé le Harvard à Biggin Hill, au sud de Londres.

Devenu G-AZJD, ce même Harvard est vu ici au décollage à Biggin Hill en 1974 alors qu’il était la propriété de Sir WJD Roberts. (Archives JP Decock)

La particularité de son séjour en Angleterre fut indubitablement le polissage de l’avion tout rutilant (shiny), grâce au poli extrêmement poussé de tous ses revêtements extérieurs (mis à part les gouvernes qui sont entoilées). Cet état de brillance exceptionnel fut maintenu par la suite. L’appareil fut relativement actif en Angleterre jusqu’à sa revente en France en octobre 1984.

Retour en France
Avec à peine 3.100 heures de vol au compteur, le Harvard H9/G-AZJD était dans un état que l’on peut qualifier de nickel, quoiqu’il fut immatriculé temporairement F-WZDU (la première lettre W de l’immatriculation s’applique en France aux prototypes) le temps d’obtenir un certificat de navigabilité français en bonne et due forme. Les essais terminés, le zinc devint F-AZDU (les immatriculations F-AZxx ne s’appliquent en France qu’aux seuls avions historiques) en juin 1985 pour le plus grand bonheur de son nouveau propriétaire Guy Robert qui avait été précédemment instructeur à l’Armée de l’Air sur Mirage IIIB à Dijon et avait accompli une partie de son entraînement militaire sur T-6/Harvard au Maroc dans les années 50. Guy Robert présenta dans les années qui suivirent le « super shiny » F-AZDU dans de nombreuses fêtes aériennes en France et dans les pays limitrophes, notamment la Belgique, en tant que l’un des avions de l’association Antic Air, en compagnie d’autres appareils de ce groupe tels que le Pilatus P-3 suisse et le Soko Kraguj yougoslave. L’association opérait également sous l’égide des Ailes Anciennes du Bourget.

Le « super shiny » F-AZDU quitte son emplacement de parking avec Guy Robert aux commandes lors de la fête aérienne de la SONACA en mai 1993 à Gosselies. (JP Decock)

Au début des années 90, Guy Robert était également instructeur en vol à l’Institut Amaury de la Grange à Merville, lequel formait des futurs pilotes de ligne. Guy Robert devint par la suite copropriétaire du F-AZDU avec ses collègues et amis d’Antic Air Jean-Gilles Maréchal et Raymond Frappot du 15 juillet 1992 au 24 juin 1996, après quoi il redevint l’unique propriétaire de la machine.

En vol au-dessus de l’Ile de France au début des années 90, le Harvard MKIII F-AZDU (ex-H9 à la Force Aérienne Belge) d’Antic Air montre bien le poli de ses surfaces qui lui a valu le surnom de « super shiny » (super rutilant). (Guy Robert)

En tant que commentateur des meetings aériens de la SONACA, j’ai eu l’immense plaisir de d’expliquer les impeccables présentations acrobatiques de Guy Robert aux commandes du F-AZDU à Gosselies en 1992, 1993 et 1994. Son programme se composait de figures tracées avec netteté et précision, où l’on ne détectait en rien que le T-6 était récalcitrant à entamer certaines figures de voltige (loopings essentiellement), le tout ficelé en huit à dix minutes d’occupation du ciel, ce qui est la durée optimum d’une exhibition aérienne pour la majeure partie du public.

Le Harvard ex-H9 de la Force Aérienne Belge fut vendu le 31 mai 2001 à la Société John Colours SL située à Barcelone en Espagne, l’avion a gardé son immatriculation F-AZDU et est depuis lors basé à Sainte-Léocadie et nous présumons qu’il vole toujours de nos jours.

Jean-Pierre Decock

Jean-Pierre Decock

Jean-Pierre Decock

Brevet B de vol à voile en 1958. Pilote privé avion en 1970. Totalise 600 heures de vol dont 70 d’acro. Un œil droit insuffisant empêche toute carrière dans l’aviation. (Co-)Auteur et traducteur de 41 ouvrages d’aviation publiés en 4 langues depuis 1978. Compétences: histoire, technique et pilotage (aviation civile, militaire ou sportive).

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